Vu le Film L Enfer des Anges de Christian Jaque (1939) avec Serge Grave Jean Claudio Mouloudji Jean Tissier Bernard Blier Louise Carletti Félix Clause Robert Rollis Sylvia Bataille Lucien Gallas René Bergeron Fréhel Jean Brochard Dorville Berthe Thyssen À la fin des années 1930, un drame de la misère se déroule dans un taudis. Battu régulièrement, un jeune garçon est finalement laissé pour mort par son père qui lui a donné un coup de fer à repasser. L'homme emporte le corps qu'il abandonne dans un terrain vague, mais quelque temps après, le garçon se réveille. Il erre dans la banlieue parisienne, il a perdu la mémoire et ne se souvient même plus de son prénom. L’Enfer des Anges (1941) de Christian-Jaque est un film méconnu du grand public mais d’une importance capitale dans l’histoire du cinéma français, tant par sa sensibilité que par son audace formelle. Un an après le chef-d’œuvre Les Disparus de Saint-Agil, le cinéaste retrouve ici Pierre Very, l’auteur fidèle, mais dans un tout autre registre. Fini le pensionnat gothique, les mystères dans les couloirs. Place aux rues miséreuses de la capitale, aux arrière-cours crasseuses de la Cité Henri IV, et à l’enfance délaissée, errante, malmenée. Ce n’est plus un jeu d’ombres et d’intrigues : c’est une chronique sociale au bord du néoréalisme, tournée alors que la guerre gronde, dans un Paris gris et poignant. L’histoire suit un groupe d’enfants abandonnés ou mal encadrés, souvent à la merci de figures adultères dévoyées. Ces gamins, parfois orphelins, souvent battus par la vie, traînent leurs guêtres entre les trottoirs et les foyers pour jeunes, enchaînant petites combines, mensonges et rêves d’évasion. Mais le film ne tombe jamais dans le misérabilisme : au contraire, il élève ces figures d’enfants au rang de héros tragiques, luttant avec une bravoure désespérée contre le sort qui leur est réservé. Et ce sont eux, les "anges" du titre, ceux pour qui l’enfer, c’est cette ville, cette société, cet oubli. Jean Claudio, Serge Grave, Marcel Mouloudji : ce trio des Chiche Capon de Saint-Agil est à nouveau réuni, apportant une justesse rare, une émotion jamais forcée. À eux s’ajoutent Robert Rollis, Jean Buquet, et d’autres jeunes acteurs qui, tous, font preuve d’un naturel bouleversant. On sent que Christian-Jaque les dirige avec une attention infinie, laissant surgir chez chacun un éclat de vérité. Aucun ne surjoue. Tous vivent leurs personnages. Et cette authenticité, doublée d’une direction d’acteurs exemplaire, place L’Enfer des Anges au rang des plus beaux films français sur l’enfance malheureuse. Mais ce n’est pas tout. Car le film est aussi une splendeur visuelle. Christian-Jaque, avec son chef opérateur, livre une mise en scène d’une audace folle : cadrages en contre-plongée, travellings étonnants dans les ruelles étroites, jeux d’ombres et de lumière qui rappellent l’expressionnisme, mais toujours au service du réel. Certains plans sont sidérants : les silhouettes d’enfants errant dans un décor qui les écrase, un visage en pleurs dans l’encadrement d’une porte, une cour d’immeuble qui devient théâtre de toutes les humiliations. Les décors urbains sont magnifiés, filmés comme des labyrinthes où l’innocence se perd. On est loin du studio décoratif : c’est un Paris vécu, rugueux, presque documentaire. Les seconds rôles participent à cette réussite. Dorville, Tissier, Bernard Blier (déjà inquiétant), sont à la fois pittoresques et profondément ancrés dans cette société en décomposition morale. Tous incarnent des figures qui oscillent entre autorité, indifférence et cruauté. Pourtant, quelques adultes bienveillants tentent de sauver ces enfants, mais leur voix est bien faible dans ce monde sourd à la misère. Le film évite la facilité du manichéisme. Il montre une société à bout de souffle, où les victimes sont toujours les plus faibles. Ce qui fait la grandeur de L’Enfer des Anges, c’est sa capacité à mêler un réalisme brut avec une poésie visuelle bouleversante. On pense à Zéro de conduite de Vigo pour la révolte de la jeunesse, ou aux premiers films de De Sica pour la compassion. Et pourtant, le style de Christian-Jaque reste singulier : jamais démonstratif, toujours tendu vers une émotion vraie. C’est un film de résistance humaine avant l’heure, un cri discret mais intense, contre l’abandon et l’oubli. Aujourd’hui, ce film appartient à ce pan du cinéma français qu’on redécouvre avec étonnement. Christian-Jaque, souvent résumé à ses grands films populaires, a ici signé une œuvre intime, vibrante, d’une modernité étonnante. L’Enfer des Anges n’a rien perdu de sa force, ni de sa nécessité. C’est un grand film sur l’enfance, sur l’injustice, et sur ce qu’un regard de cinéaste peut transformer : l’enfer en lumière, les oubliés en héros.
NOTE : 16.50
FICHE TECHNIQUE
- Réalisation : Christian-Jaque
- Scénario : Pierre Véry
- Adaptation : Pierre Ramelot
- Dialogues : Pierre Laroche
- Photographie : Maurice Barry, Otto Heller, Alain Renoir et André Thomas
- Montage : William Barache et Claude Nicole
- Musique : Henri Verdun
- Décors : Jean d'Eaubonne et Paul-Louis Boutié
- Photographe de plateau : Léo Mirkine
- Producteur : Émile Darbon
- Sociétés de production : Societé Anonyme de Réalisations d'Œuvres Cinématographiques (SAROC), Ciné Alliance
DISTRIBUTION
- Louise Carletti : Lucette
- Jean Claudio : Le jeune Lucien
- Serge Grave : Paul Minain
- Marcel Mouloudji : Le jeune Léon
- Félix Claude : René La Science
- Berthe Tissen : Marie La Planche
- Robert Rollis
- Sylvia Bataille : Simone
- Lucien Gallas : Jean Ballard
- René Bergeron : Sulpice, le père de Lucien
- Fréhel : La femme Sulpice
- Jean Brochard : M. Petitot, le philatéliste
- Bernard Blier : Nénesse, la patron du bistrot Au p'tit Zouave
- Jean Tissier : Max
- Dorville : Le père La Loupe
- Lionel Salem : le Rouquin
- Robert Tourneur

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