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mercredi 26 août 2015

AMNESIA DE BARBET SCHRODER par Critique Chonchon

"amnesia"
À Ibiza au début des années 1990.
Jo (Max Riemelt) a vingt ans, il vient de Berlin accompagné de son ami et manager Rudolf (Joel Basman), y laissant sa mère Elfriede et son grand-père Bruno (Corinna Kirschoff et Bruno Ganz), il est musicien et veut faire partie de la révolution électronique qui commence. Pour démarrer, l’idéal serait d'être engagé comme DJ dans le club L'Amnesia.
Martha (Marthe Keller, sublime) vit seule et isolée, face à la mer, depuis environ quarante ans, avec pour seul ami Sabater (Fermi Reixart) qui lui apporte parfois les meilleurs vins de l'île.
Une nuit, Jo frappe à sa porte. La solitude de Martha l'intrigue. Ils deviennent amis alors que les mystères s'accumulent autour d'elle : ce violoncelle dont elle ne joue plus, cette langue allemande qu'elle refuse de parler…
Alors que Jo l'entraîne dans le nouveau monde de la musique techno, Martha remet en question ses certitudes, surtout après la visite de Elfriede et Bruno…
Depuis la fin des années 1970, "L'Amnesia" sonne évidemment pour moi comme un symbole d'un renouveau musical, au même titre que "La Hacienda" à Manchester. Barbet Schroeder en fait aussi un aurez symbole, celui de la nécessité, parfois, pour survivre, d'oublier. Magnifique idée.
Il a derrière lui une belle et intéressante carrière, dans laquelle j'ai aimé "Maîtresse", "Barfly" (avec déjà Marthe Keller), "Le mystère Von Bulow", "La vierge des tueurs", "L'avovat de la terreur".
Deuxième très bonne idée : faire appel à Marthe Keller pour incarner Martha. Elle est magnifique, elle nous rappelle qu'il n'y a pas que Charlotte Rampling pour incarner un belle femme de 70 ans, et elle nous le rappelle avec un grâce infinie.
Troisième belle idée : choisir Max Riemelt pour incarné Jo. Je l'avais remarqué dans "Free Fall" (mars 2014) dans lequel il jouait un jeune CRS qui vient d'être recruté, et qui vit une troublante relation avec un collègue.
A l'origine, Barbet Schroeder avait en tête trois idées de départ pour l'intrigue de son film qu'il résume de la manière suivante : "J'avais trois ambitions dès le départ, toutes à la limite de l'impossible ou en tout cas de ce qui est habituellement montré ou accepté au cinéma : tenter de faire du refus d'une langue le principal ressort dramatique du film ; tenter de faire le récit d'une histoire d'amour se développant hors sexualité mais grâce à une succession de non-dits, entre deux personnages dont le lien est purement spirituel et platonique ; tenter de donner le sentiment que c'est la vie elle-même qui coule jusqu'à ce que l'on découvre que c'est en fait un drame (le drame d'un pays) qui est en train de remonter à la surface."
Bien que se déroulant au début des années 1990, Amnesia n'a pas été conçu par son réalisateur comme un film d'époque. Le plus important est de rester focalisé sur le contexte de la réunification de l'Allemagne et de l'émergence de la musique électronique. Ainsi hormis quelques voitures, l'équipement musical électronique et la machine à piles pour les cassettes, le film ne présente aucun autre signe de cette époque. J'ai toujours aimé le travail des réalisateurs qui ne s'acharnent pas à "reconstituer" une époque dans ses moindres détails, parce que c'est, selon moi, bien plus subtil, et bien plus évocateur.
Alors que le passé douloureux de l'Allemagne va ressurgir, en contraste, Ibiza est filmée comme un paradis, avec des images somptueuses. Le film a ceci de particulier qu'il est le premier film européen à être tourné en 6K comme l'explique le réalisateur : "Amnésia est le premier film européen en 6K. Ce n'est pas que sa définition soit trois fois supérieure à celle du 35mm qui est important, mais le fait qu'elle permette de multiplier à l'infini les possibilités de montage à l'intérieur d'une même image et de faire des manipulations inouïes."
La musique, importante dans le film, est signée par un DJ-compositeur local, Lucien Nicolet, très connu à Ibiza sous le nom de "Luciano". J'ai beaucoup aimé la façon dont le réalisateur filme JO, parfois seul, parfois avec Martha, dans son travail de composition. Le processus de création est au moins aussi intéressant que l'oeuvre qui en résulte.
Barbet Schroeder revient donc à Ibiza, de façon sensible, les lieux même où il tourna “More” (1968-1969) et revient aussi sur les traces indélébiles de la guerre. Point d'amnésie, et loin s'en faut. Il met en place une mécanique théâtrale à la fois concrète et symbolique, intimiste et politico-historique, une pièce à feu doux qui explose quand arrivent les parents de Jo, et notamment son grand-père incarné par Bruno Ganz, qui en quelques scènes, perce tous les abcès passé de l'Allemagne à travers son destin personnel.
Dans le rôle de Martha, Marthe Keller rayonne au-delà de toute expression, au point de presque reléguer au second plan le soleil d’Ibiza, auquel pourtant les images de Luciano Tovoli, somptueuses, rendent justice.
Un film sur nos impossibles : l'impossibilité d'échapper à sa langue, l'impossibilité d'occulter totalement le passé empesé d'Histoire, l'impossibilité de se soustraire à la musique, l'impossibilité d'un amour (entre Martha et Jo). Mais ces impossibles, dès lors qu'ils sont admis, ouvre un magnifique champ des possibles où fleurissent la cicatrisation et la sérénité.
Même si je trouve Barbet Schroeder meilleur dans son travail de réalisateur de documentaires que de fictions, son propos est tellement intelligent, son travail technique si somptueux, et ses acteurs si bons (Marthe Keller, réellement sublime), qu'il ne reste de mes réserves que bien peu de choses.

Amnésia de Barbet Schroder par Critique Chonchon

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