Jonathan Demme est mort ce mercredi matin à New York, des suites d’un cancer de l’œsophage et de complications cardiaques. Il avait 73 ans. Au jeu des rediffs télévisées en guise d’hommage, nul besoin d’institut de sondage pour prédire celle du Silence des Agneaux qui lui valut l’oscar du meilleur réalisateur. On espère qu’un autre silence sera dissipé — celui sur ses qualités sous-estimées de cinéaste, sa constance et sa versatilité. Paul Thomas Anderson, cinéaste mastoc plutôt suspecté d’être scorseso-altmano-welleso-kubrickien, revendiquait Demme comme sa plus grande influence dans le commentaire audio du DVD de Boogie Nights, ainsi que sa volonté de «contribuer à la reconnaissance de son style». Rien que ça.
Jonathan Demme commença comme scénariste/producteur dans la grande usine à séries B de Roger Corman en 1971. Mais dès sa première réalisation Cinq femmes à abattre (Caged Heat), film de prison de femmes, il cherche à élever le matériau en drapant le genre de contestation politique, avec une scène de cabaret fantasmé, qu’on jurerait piquée par Zack Snyder pour Sucker Punch, et John Cale à la musique.
De là, Demme aura été drôle, avec les géniales comédies romantico-policières comme Dangereuse sous tous Rapports (1986) et Veuve, mais pas trop (1988) — illuminant respectivement Melanie Griffith et Michelle Pfeiffer en princesses screwball insoupçonnées — ; consciencieusement engagé, avec Philadelphia (1993, premier film hollywoodien et oscarisé à aborder sida et homophobie) ou l’Agronome (2003, docu sur le journaliste haïtien Jean Dominique, persécuté par la dictature), ou un poil perdu dans les remakes — la Vérité sur Charlie (2002), relecture éventée du pétillant Charade (1963) et Un crime dans la tête (2004).
Un fil conducteur dans cette dispersion apparente ? Biberonné par Corman et ses budgets riquiqui, Demme savait faire fort avec pas grand-chose. D’où une signature visuelle, retenue entre autres par Wes Anderson : les gros plans sur le visage de ses stars, filmés comme des regards caméra intenses — et qui font sans doute 80% de la réussite du Silence des Agneaux au-delà de ses serial killers et foies humains dégustés avec du chianti. Du film, on se souvient avant tout du visage perpétuellement anxieux de Jodie Foster et de celui, prédateur, d’Anthony Hopkins, prêt à dévorer le public.
Jonathan Demme était aussi — ou avant tout — mélomane, rock critic à ses débuts, puis clippeur pour New Order ou UB40, mais surtout responsable des noces les plus sublimes entre cinéma et rock scénique. Stop Making Sense (1984), sa «captation» des Talking Heads en concert, peut prétendre au titre de meilleur film «rock», à la fois mise en scène minutieuse et symbiose avec son sujet — ici le rock délicieusement bancal et luxuriant de David Byrne et son orchestre. Avec l’éclairage et les gros plans (forcément) précis sur les musiciens (garantis sans images de doigts s’escrimant sur une guitare), Demme suggère quelque chose de monumental, une démesure façon Metropolis, mais à des années-lumière des feux d’artifice patauds et écrans géants de stade des Rolling Stones ou U2. Jonathan Demme était un maître du less is more. Pourvu qu’on en parle davantage.
Source : Libération
FILMOGRAPHIE
- 1974 : 5 femmes à abattre (Caged Heat)
- 1975 : Crazy Mama
- 1976 : Colère froide (Fighting Mad)
- 1977 : Handle with Care
- 1979 : Meurtres en cascade (Last Embrace)
- 1980 : Melvin and Howard
- 1984 : Swing Shift
- 1984 : Stop Making Sense
- 1986 : Dangereuse sous tous rapports (Something Wild)
- 1987 : Swimming to Cambodia
- 1988 : Famous All Over Town
- 1988 : Veuve mais pas trop (Married to the Mob)
- 1991 : Le Silence des agneaux (The Silence of the Lambs)
- 1992 : Cousin Bobby
- 1993 : Philadelphia
- 1994 : The Complex Sessions (court métrage)
- 1995 : Murder Incorporated
- 1998 : Beloved
- 2002 : La Vérité sur Charlie (The Truth About Charlie)
- 2004 : Un crime dans la tête (The Manchurian Candidate)
- 2008 : Rachel se marie (Rachel getting married)
- 2015 : Ricki and the Flash
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire