Vu le film L’Africain de Philippe de Broca (1988) avec Catherine Deneuve Philippe Noiret Jean François Balmer Jean Benguigui Vivian Reed Jacques François Joseph Momo Pierre Michael
Victor, amoureux de la nature, a trouvé le repos dans une idyllique contrée de l'Afrique centrale. L'arrivée intempestive de son ex-femme menace son univers paradisiaque. Celle-ci, chargée de dénicher un paradis perdu, veut en effet implanter dans la région un village-vacances pour touristes fortunés.
Il y a des films qui vieillissent doucement, d’autres qui s’empoussièrent. Et puis il y a ceux comme L’Africain, qui non seulement ont mal vieilli, mais qui déjà à leur sortie étaient teintés d’un embarras que le temps n’a fait qu’accentuer. Pourtant, sur le papier, tout laissait espérer une réussite : Philippe de Broca derrière la caméra, Gérard Brach au scénario, Catherine Deneuve et Philippe Noiret en tête d’affiche. Le savoir-faire d’un cinéma d’aventure à la française, avec ses élans romanesques et ses dépaysements. Mais rien n’y fait. Le charme est rompu avant même d’avoir opéré.
Le film raconte l’histoire de Charlotte (Deneuve), chirurgienne débarquant au cœur de la forêt équatoriale pour y retrouver son mari, Victor (Noiret), un ancien pilote d’avion devenu une sorte d’ermite bourru, vivant au plus près des populations locales. Elle vient dans l’idée de bâtir un hôpital moderne au sein de la brousse, lui ne jure que par la nature et les traditions. S’en suit une confrontation censée faire rire, émouvoir, voire réfléchir. Mais l’équilibre ne prend jamais. Car au lieu d’un duel d’idées ou de tempéraments, L’Africain s’embourbe dans une accumulation de clichés périmés et de stéréotypes raciaux gênants, martelés sans recul ni ironie.
Les dialogues font grincer des dents. Non pas parce qu’ils témoignent "d'une autre époque" — l’excuse facile — mais parce que même en 1983, ce ton paternaliste et condescendant à l’égard des personnages africains sonnait creux, voire choquant. Le personnage de Noiret, censé être en harmonie avec le continent, parle comme un colon revenu de tout, sans que le film ne nuance ou interroge ses propos. De Broca, pourtant cinéaste sensible à la comédie de mœurs (Le Cavaleur, Le Magnifique), semble ici en roue libre, comme s’il croyait que le charme exotique des décors — certes somptueux — suffisait à faire illusion.
Le duo Noiret/Deneuve, sur le papier prometteur, ne trouve pas sa dynamique. Deneuve est rigide, comme bloquée dans une parodie d’elle-même. Noiret semble promener son bonhomme désabusé d’un plan à l’autre sans jamais savoir sur quel ton jouer. Leur opposition tourne à vide, faute de rythme et d’enjeu réel. Là où Le Sauvage (avec Montand et Deneuve) réussissait à mêler l’aventure, l’ironie et la romance avec panache, L’Africain reste une sorte de copie fade, sans mordant ni énergie.
Il y avait pourtant de quoi faire : les décors de la Tanzanie, la lumière naturelle, les moyens engagés… Mais rien n’y fait. Même les scènes censées apporter du suspense ou du comique d’action tombent à plat. Le montage est lâche, la musique illustrative, les séquences dialoguées interminables. Le film avance comme un canoë crevé : il flotte, mais ne va nulle part.
Et ce n’est pas la faute aux techniciens ni aux décors — ils sont magnifiques, et parfois même vertigineux — mais au manque total de point de vue, de tension, d’intelligence dans l’écriture. Gérard Brach, scénariste de Polanski ou Zulawski, livre ici un script mécanique, sans étincelle. L’Afrique n’est jamais qu’un décor de carte postale, figé, muet, rabaissé à une toile de fond sans âme.
En définitive, L’Africain est un film d’un autre temps, non pas parce qu’il date, mais parce qu’il refuse toute remise en question, toute modernité, toute subtilité. Une aventure sans aventure, un film familial qui peine à rassembler, une comédie qui ne fait pas rire, et une vision du monde qui dérange, non pour ce qu’elle montre, mais pour ce qu’elle ignore.
L’Africain est une déception cuisante, le genre de film où l’on voudrait sauver quelque chose — un décor, une scène, un regard — mais où tout s’écroule faute d’âme, de rythme, et d’intelligence. Un contresens d’aventure, comme si le cinéaste s’était perdu dans sa propre jungle.
On aimerait s’y accrocher, mais comme Deneuve dans une pirogue, on finit par sombrer doucement, sans même s’en rendre compte.
NOTE : 9.10
FICHE TECHNIQUE
- Réalisation : Philippe de Broca, assisté de Frédéric Blum
- Scénario : Gérard Brach et Philippe de Broca
- Directeur de la photographie : Jean Penzer
- Montage : Henri Lanoë
- Décors : François de Lamothe
- Costumes : Sylvie Gautrelet
- Son : Jean Labussière, Jacques Maumont et Jean-Marc Lentretien
- Musique : Georges Delerue ainsi que des extraits de Porgy and Bess de George Gershwin
- Production : Claude Berri
- Production exécutive : Pierre Grunstein
- Société de production : Renn Productions
- Société de distribution : AMLF
- Pays de production : France
- Catherine Deneuve : Charlotte
- Philippe Noiret : Victor
- Jean-François Balmer : Paul Planchet
- Jacques François : le Dr Patterson, directeur du Parc des Volcans
- Jean Benguigui : Aristote Poulakis, le trafiquant d'ivoire
- Joseph Momo : Bako
- Vivian Reed (en) : Eugénie
- Pierre Michael : le PDG du club de vacances
- Gordon Heath : le ministre
- Raymond Aquilon : le commandant
- Gisèle Charpentier : la matrone
- Maxime Dufeu : un cadre

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