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mercredi 11 novembre 2015

NOUS TROIS OU RIEN de Kheiron par Critique Chonchon

Nous trois ou rien.
D’un petit village du sud de l’Iran à la cité de Pierrette-sur-Seine dans la banlieue parisienne, Kheiron nous raconte le destin hors du commun de ses parents, Hibat qui est avocat (Kheiron), et Fereshteh qui est infirmière (Leïla Bekhti), éternels optimistes, dans une comédie aux airs de conte universel qui évoque la lutte politique contre la dictature, l'emprisonnement pendant 7 ans, l’amour familial, le don de soi et l’idéal d’un vivre-ensemble.
J'ai beaucoup aimé ce film, alors je vais me débarrasser tout de suite de deux petits reproches, avant de passer aux louanges. En premier lieu, l'affiche, qui laisse croire que "nous trois ou rien" se réfère à la cellule familiale, alors que que le film explique clairement qu'il s'agit de Hibat et de ses deux amis et compagnons de lutte. En second lieu, Gérard Darmon et Zeiboi Kreitman sont aussi crédibles en parents iraniens que je ne le serais en Napoléon en lieu et place de Cambacéreès, en Clémenceau en lieu et place de Lyautey.
Déclaration d'amour à ses parents et hommage à leur incroyable parcours, Kheiron a voulu raconter depuis longtemps cette histoire personnelle. Un an après sa naissance en Iran, les parents de Kheiron, engagés en politique contre le Shah et aussi contre l'Ayatollah Khomeini, fuient le régime pour la France, à Pierrefite-sur-Seine (93). Hirat deviendra directeur d'un groupe de l'AFPAD aidant les jeunes en difficulté scolaire, et parallèlement, intégrera en 2006 le Jamel Comedy Club, tournera dans la série "Bref" et figurera au générique de "Les Gamins de Anthony Marciano (2013). C'est lorsque Kheiron a commencé à avoir du succès à travers ses spectacles que des producteurs sont venus à lui et lui ont demandé s'il avait des idées de films. C'était durant l'été 2013 et à ce moment l'histoire de ses parents est la première chose à laquelle il a pensé.
La représentation de la banlieue à l'écran, Kheiron était conscient de ne pas arriver en terrain vierge compte tenu des multiples films ayant été faits sur le sujet, et il a voulu montrer cet endroit avec le regard de son père, calme, ayant du recul, et gardant le sourire en (presque) toute occasion. Il en résulte une bienveillance particulièrement chaleureuse, qu'incarnent à la perfection Michel Vuillermoz (dans le rôle du maire, Daniel Bioton) et Carole Franck (dans le rôle de Catherine Hanriot, responsable associative), une actrice éhontément sous-employée, et pourtant démesurée, comme elle l'a encore prouvé dans "Coup de Chaud" de Raphaël Jacoulot avec Grégory Gadebois.
Nous trois ou rien rend compte d'une histoire tragique, mais avec une bonne dose d'humour. Et à mon sens, la clef du film est là : Hibat, Fereshteh, les amis iraniens d'Hibat, le jeune Adama qui traîne au pied de la cité, etc... ces gens sont animés par une joie de vivre admirable. Cette joie de vivre, il n'y avait que l'humour pour la retranscrire avec respect, c'est à dire de ne pas faire de gens aux blessures évidentes, des "bouffons".
Je devine que le budget de ce film n'est pas mirobolant, aussi faut-il féliciter le talent de Jean-François Hensgens qui propose une photographie de bonne facture, mais qui ne force le trait, ni en filmant l'Iran, ni en filmant la Turquie, ni en filmant cette cité de Pierrefitte-sur-Seine ; le talent de Stanislas Reydellet qui dans la même idée ne propose pas des décors trop "marqués", ; enfin le talent de Karen Muller Serreau qui propose des costumes, certes datés, mais sans prétendre à une roborative "prouesse historique".
Alexandre Astier campe un Shah d'Iran ridicule, tandis que l'excellent Arsène Mosca incarne un monstrueux directeur de prison où sont enfermés Hibat et ses amis. Là, dans ces deux personnages, dans ces deux interprétations, réside probablement le délicat point d'équilibre du film.
Je ne suis pas stupide, et je sais pertinemment que pour "s'intégrer" il ne suffit pas de le vouloir, et que notre système d'intégration présente bien des défaillances, en raison notamment de manque de volonté de politique et de manque d'investissements à l'endroit de ceux qui en ont le plus besoin. Je comprends donc les réserves émises par Le Monde et L'Obs, elles sont justifiées. Mais je considère que dans ce cas, il ne faut pas non plus applaudir à tout rompre la vision qu'a de l'intégration et de la banlieue Jacques Audiard qui dans "Dheepan" (un film qui incontestablement a par ailleurs des qualités) ne nous propose que du chaos, de la drogue, de la violence, de la détestation.
Ici, chaque évocation de la violence et des épreuves endurées s'accompagne d'une pirouette humoristique et d'un art du décalage qui font mouche. Du bel ouvrage qui sait aussi émouvoir. Pourquoi pas ?
Porté par l'amour et l'admiration de ses personnages, Kheiron ose des blagues de stand-up dans les moments les plus dramatiques, et ça marche. Sa tendresse m'a séduit. Kheiron a choisi le pari de la délicatesse, et pratique l'humour comme une politesse. Difficile de le lui reprocher.
Le générique du film est là pour nous rappeler, à l'aide de photographies, que nous sommes devant une histoire personnelle, de la façon singulière dont entend la raconter le cinéaste, et qui donc n'a pas vocation à être généralisée. Cela m'a semblé sans aucune ambiguité.

Critique de Nous trois ou rien de Kheiron par Critique Chonchon

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