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dimanche 1 novembre 2015

CRITIQUE DE NOTRE PETITE SOEUR de HIROHAZU KORE-EDA par Critique Chonchon

Notre petite soeur
Trois sœurs, dans l'ordre de naissance Sachi (Haruka Ayase) la plus stricte parce que l'aînée, Yoshino (Masami Nagasawa, déjà au générique de "I wish") la plus libertaire, et Chika (Kaho) la plus farfelue, vivent ensemble à Kamakura.

Par devoir, elles se rendent à l’enterrement de leur père, qui les avait abandonnées une quinzaine d’années auparavant, lorsqu'il a quitté son épouse pour une autre femme.

Elles font alors la connaissance de leur demi-sœur, Suzu Hasano (Suzu Hirose), âgée de 14 ans. D’un commun accord, les jeunes femmes décident d’accueillir l’orpheline dans la grande maison familiale…
Avant d'aborder le film en soi, je pense qu'il est bon de rappeler que, malgré tout ce qu'une forme de "propagande" (disons plutôt une publicité massive et mensongère depuis grosso-modo 1945) notre "culture" française, et nos "traditions", sont bien plus proches de celles du Japon que celles des USA. Que ce soit pour la mode, l'élégance, le raffinement, les rapports sociaux, les rapports familiaux, le sexe, la mort, et bien entendu la gastronomie, nous avons bien des points communs avec les Japonais. C'est important d'en avoir conscience en regardant "Notre petite soeur".

Le film est signé Hirohazu Kore-Eda (il est bien souvent scénariste, réalisateur, monteur, et producteur), qui, au même titre que le Taïwanais Hou Hsiao Hsien et le Sud-Coréen Kim Ki-Duk doit être considéré tel un cinéaste majeur. Nus lui devons notamment "After Life" (1998), "Nobody Knows" (2003) qui a beaucoup contribué à le faire connaître, "Still Walking" (2008) une merveille, "Air Doll" (2009) un film fantastique unique en son genre, "I wish" (2012), et le remarquable "Tel père, tel fils" (2013), que je place sur le thème de la paternité, au même niveau que "Père, fils" d' Alexandre Sokourov.

Le film est adapté du roman graphique Umimachi Diary qui a immédiatement séduit le réalisateur Hirokazu Koreeda lorsqu'il a lu le premier tome en 2007. C'est en 2012 que le travail d'adaptation a pu commencer et au printemps 2014 que le tournage a débuté. Il explique dans quelle mesure il a cherché à rester fidèle au livre : "Au départ, je m’étais dit que j’allais seulement modifier la chronologie de l’histoire. Mais j’ai peu à peu changé d’avis et j’ai décidé d’écrire un scénario en y incorporant des scènes qui ne figurent pas dans le roman. Après m’être demandé comment imaginer une intrigue qui ne dépasse pas deux heures et qui tienne compte des problématiques de l’oeuvre originale, j’ai compris qu’il était préférable de limiter les décors et les personnages, et d’ajouter des épisodes inédits. Par exemple, on a décidé de placer Sachiko Ninomiya du Sea Cat Diner (c'est la cuisinière du petit restaurant dans lequel vont souvent les quatre soeur, incarnée avec une incroyable subtilité par Jun Fubuki) au centre de l’histoire pour qu’elle puisse incarner des personnages qu’on ne voit pas dans le film. On a fait plusieurs tentatives et sans doute commis quelques erreurs, mais tout s’est éclairci après avoir engagé Suzu." Car, fidèle à son habitude, ce n'est qu'après avoir trouvé tous ses comédiens que Hirokazu Koreeda a achevé son scénario.

Si, comme l'indique son titre, la paternité était au coeur de "Tel père, tel fils", elle l'est aussi au coeur de "Notre petite soeur", en faisant du père défunt, donc totalement absent du film puisqu'il n'y a aucun flash-back, une "présence" de presque tous les instants. Ce père est le lien entre les quatre soeurs. Le réalisateur ajoute à la thématique de la paternité, celle de la maternité, et avec un rare brio, celle de la sororité.

Impeccable photographie signée Takimoto Mikiya, qui avait brillamment travaillé sur "Tel père, tel fils", tandis que nous devons la musique à la compositrice Kanno Yoko. Photographie et musique sont d'une délicatesse toute singulière, servant parfaitement le film, qui pourtant est ponctué de deux enterrements.
L'Art, car c'en est bien un, de Hirokazu Kore-Eda, c'est de faire d'un événement anodin un brillante scène de film : une promenade a vélo sous les cerisiers en fleurs, la récolte des prunes pour faire la liqueur familiale, la préparation et la dégustation d'un repas, un kimono d'été offert en cadeau, un grillon égaré dans la douche, le collage de d'images et de dessins sur les vitres d'une porte coulissante, etc... C'est admirable, en drôlerie comme en mélancolie, de délicatesse.

Il convient de s'attarder ici à la gastronomie, puisque les repas ont une très grande importance dans le film : ils sont "proustiens", en ce sens que ce sont souvent eux qui rappellent les souvenirs à la mémoire des protagonistes, c'est la liqueur de poire qui permettra à Sachi, la soeur aînée, de se réconcilier avec sa mère qui elle aussi les a abandonnées il y a près de 15 ans, c'est la bière et la liqueur qui délie les langues, c'est une simple tartine de petits aiglefins frais qui rappelle son père à la mémoire de la petite Suzu Asana, etc... Et tout reste généreux, espiègle ou apaisé, sans que jamais la délicatesse ne se dissipe.

Belle et langoureuse digression sur fond de filiation, "Notre petite soeur" confirme tout le talent du réalisateur pour peindre la famille et le Japon. Ce portrait d’une sororité de femmes libres délivre un courageux éloge de la tendresse. Ce qui frappe, c’est la grâce des quatre filles ensemble, leur sourire, et l’utopie réalisée que constitue cette famille improbable, sans plus de père et dont les mères sont loin et en perdition. Pourtant, sur de tels sujets, ça demeure une fête constante pour les yeux et les papilles : le film se délecte d’une multitude de plats de poissons et se révèle d'une indicible légèreté.
On est là dans le non-sensationnel. Et pourtant, Hirokazu Kore-eda parvient à rendre cette banalité très charnelle et désirable, au point que l’effet immédiat de "Notre Petite Sœur" est de donner envie de venir s’attabler avec ces quatre femmes dans le charme d’une vieille maison de Kamakura.
La fluidité du récit, l’excellence du jeu d’acteurs, les subtiles variations d’un cinéaste aquarelliste confèrent définitivement à Hirokazu Kore-Eda le statut sans appel de maître du septième art.

Critique de Notre Petite soeur de Hirozahu Kore-Eda par Critique Chonchon

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