Vu le film Danton de Andrzej Wajda (1983) avec Gérard Depardieu Anne Alvaro Emmanuelle Debever Boguslav Linda Wojcieh Pszoniak Patrice Chereau Jacques Villeret Angela Winkler Roland Blanche Roger Planchon
Paris, dans un printemps 1794 qui semble glacé :
les premiers plans montrent des sans-culottes se réchauffant près d'un
brasero. Depuis septembre 1793 c'est la première partie
de la Terreur, où la faction perdante, ici les moins extrémistes,
sont menés à la guillotine.
Le
député montagnard Danton a quitté sa retraite d'Arcis-sur-Aube et gagné Paris pour
appeler à la paix et à l'arrêt de la Terreur. Populaire, appuyé par la Convention et des amis politiques qui ont de l'influence
sur l'opinion (notamment le journaliste Camille Desmoulins), il défie Robespierre et le puissant Comité de salut public. Danton, présenté comme un bon
vivant, est impliqué dans plusieurs affaires de corruption, dont celle de
la Compagnie des Indes : mais Robespierre refuse
d'abord de le mettre en accusation, craignant la colère des classes populaires
qui ont porté la Révolution. C'est une entrevue avec son adversaire, véritable
huis clos mettant à jour les divergences politiques et les caractères
irréconciliables des deux leaders de la Révolution, qui consomme la rupture.
Sur proposition de Robespierre, le Comité déclare l'arrestation de Danton et
ses amis.
Andrzej
Wajda, en adaptant Danton, ne se contente pas de revisiter une page
tumultueuse de l’histoire de France : il propose un miroir tendu à la
modernité, révélant les tensions éternelles entre pouvoir, idéaux et trahisons.
Le film s’ouvre comme un théâtre de la décomposition révolutionnaire, où la
camaraderie entre Danton et Robespierre se fissure sous le poids de leurs
ambitions divergentes. Ces deux figures emblématiques, autrefois unies dans la
lutte pour la liberté, incarnent désormais deux visions opposées : Danton,
l’homme du peuple, pragmatique et charismatique, et Robespierre, l’incarnation
inflexible d’un idéal pur et intransigeant.
Gérard
Depardieu, dans le rôle-titre, livre une performance monumentale, presque
gargantuesque, qui capture parfaitement l’exubérance et la vitalité de Danton.
Il ne joue pas Danton : il l’incarne, le dévore, s’approprie chaque nuance de
ce personnage à la fois magnétique et tragique. En face, Wojciech Pszoniak,
dans la peau de Robespierre, offre une interprétation glaçante et austère,
révélant les méandres psychologiques d’un homme rongé par la responsabilité et
la solitude. Leur affrontement devient une véritable danse mortelle, où chaque
échange de répliques est une bataille d’idéologies.
Wajda
sublime ce duel en orchestrant une mise en scène à la fois grandiose et
intimiste. Les décors, plongés dans des tonalités sombres et hivernales,
rappellent l’ambiance oppressante d’une époque où la Révolution commence à se
dévorer elle-même. Les costumes, d’une précision historique remarquable, ne
sont pas seulement des accessoires : ils deviennent des symboles des forces en
jeu, contrastant la simplicité presque monacale de Robespierre avec la
flamboyance terrienne de Danton.
Ce qui
rend le film terriblement actuel, c’est la réflexion qu’il propose sur la
politique comme théâtre du pouvoir. Si autrefois la guillotine tranchait les
désaccords, aujourd’hui, Internet est devenu cet outil impitoyable qui détruit
les réputations et les carrières. Wajda montre à quel point la quête du pouvoir
est corrosive : elle transforme les amis en ennemis, fait naître la haine là où
il y avait la fraternité, et impose des choix tragiques.
Chaque
personnage secondaire, de Camille Desmoulins à Saint-Just, pourrait en effet
être le sujet d’un film à part entière, tant leurs trajectoires sont riches et
complexes. Wajda leur offre cependant suffisamment de relief pour qu’ils
contribuent au drame collectif, tout en laissant la lumière briller sur ses
deux figures centrales.
En
somme, Danton est un chef-d’œuvre de cinéma historique, mais aussi une
parabole intemporelle. Wajda, en cinéaste européen visionnaire, prouve que les
luttes de pouvoir, les trahisons idéologiques et les dilemmes moraux
transcendent les époques. Et avec Depardieu en figure de proue, ce film ne se
regarde pas : il se vit, comme un moment suspendu où l’histoire et l’humanité
s’entrechoquent.
NOTE : 16.30
FICHE TECHNIQUE
- Réalisation : Andrzej Wajda
- Scénario : Jean-Claude Carrière, avec la collaboration de Andrzej Wajda, Agnieszka Holland, Bolesław Michałek et Jacek Gąsiorowski, d'après L'Affaire Danton de Stanisława Przybyszewska
- Production : Gaumont - TF1 Films Production - S.F.P.C. - T.M. - Les Films du losange
avec la participation du Ministère de la Culture, Paris et Film Polski - Producteur : Emmanuel Schlumberger ; Margaret Menegoz pour les Films du Losange ; avec la collaboration du Group de Production X Varsovie (Barbara Pec-Šlesicka)
- Image : Igor Luther
- Décors : Allan Starski avec la collaboration de Gilles Vaster
- Costumes : Yvonne Sassinot de Nesle (réalisés par Tirelli-Rome)
- Musique : Jean Prodromidès avec l'Orchestre philharmonique de Varsovie, sous la direction de Jan Pruszak
- Son : Jean-Pierre Ruh, Dominique Hennequin, Piotr Zawadzki
- Montage : Halina Prugar-Ketling
- Directeur de production : Alain Depardieu
- Gérard Depardieu : Danton
- Wojciech Pszoniak (doublé en français par Gérard Desarthe)1 : Robespierre
- Anne Alvaro : Éléonore Duplay
- Patrice Chéreau : Camille Desmoulins
- Lucien Melki : Fabre
- Angela Winkler : Lucile Desmoulins
- Serge Merlin : Philippeaux
- Roland Blanche : Jean-François Delacroix dit « Lacroix d'Eure-et-Loir »
- Alain Macé : Héron
- Bogusław Linda : Saint-Just
- Roger Planchon : Fouquier-Tinville
- Krzysztof Globisz : Amar
- Marian Kociniak : Lindet
- Stéphane Jobert : Panis
- Jacques Villeret : Westermann
- Wladimir Yordanoff : le chef des gardes
- Jean-Loup Wolff : Marie-Jean Hérault de Séchelles
- Emmanuelle Debever : Louison Danton
- Jerzy Trela : Billaud-Varenne
- Czesław Wołłejko : Vadier
- Franciszek Starowieyski : David
- Erwin Nowiaszek : Collot d'Herbois
- Ronald Guttman : Herman
- Gérard Hardy : Tallien, président de la Convention nationale
- Tadeusz Huk : Couthon
- Marek Kondrat : Barère de Vieuzac
- Bernard Maître : Legendre
- Leonard Pietraszak : Carnot
- Andrzej Seweryn : Bourdon
- Szymon Zaleski : Le Bas
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