Vu le film L’Exercice de l’Etat de Pierre Schoeller (2011) avec Olivier Gourmet Michel Blanc Zabou Breitman Laurent Stocker Sylvain Deblé Didier Bezace François Chatot Eric Naggar Jacques Boudet Arly Jover
Au Ministère des Transports, au
lever du jour, des kurokos préparent le bureau du ministre tandis
que d'autres escortent une jeune femme nue, qui entre dans la pièce principale,
puis avance à quatre pattes et plonge tête la première dans la gueule grande
ouverte d'un crocodile.
C'était un rêve. Le ministre des Transports, Bertrand
Saint-Jean, est réveillé en pleine nuit pour une urgence : un accident de
bus s'est produit sur une route départementale.
Le gouvernement français souhaite
mener un plan de privatisation de gares ferroviaires. Bertrand Saint-Jean est
appelé à jouer un rôle majeur dans cette réforme. Pourtant il la désapprouve,
tout comme son équipe, en particulier son directeur de cabinet Gilles
Après le sensible et humaniste Versailles, Pierre
Schoeller change radicalement de registre avec L’Exercice de l’État, un
film froid et implacable, au cœur du pouvoir politique français. Ici, la
politique est dépeinte comme une jungle où règnent la rivalité et le cynisme.
On ne gouverne pas, on survit. Et cette survie passe autant par les luttes
internes que par la gestion des crises publiques. Le film s’ouvre avec une
métaphore puissante : un ministre doit être comme un crocodile, capable
d’attaquer et de se défendre, sans état d’âme. Cette image revient tout au long
du récit, symbolisant une sphère où l’empathie est un luxe qu’aucun des
personnages ne peut se permettre.
L’une des forces majeures du film est la peinture des
relations entre les différents ministres, marquées par la duplicité et la
méfiance. Bertrand Saint-Jean, nouveau ministre des Transports, se trouve
rapidement confronté à un environnement hostile. Ses collègues ne sont pas là
pour l’épauler, mais pour tester ses limites et, souvent, le pousser à la
faute. Certains cherchent à protéger leur territoire, d’autres à faire avancer
leurs propres agendas, souvent au détriment du bien commun. Bertrand, encore
novice dans cet univers de requins, subit une pression constante de la part des
membres du gouvernement et des cabinets ministériels.
On assiste ainsi à une série d’affrontements feutrés où
les sourires de façade dissimulent des poignards prêts à être plantés dans le
dos. Le ministre de l’Économie, notamment, incarne parfaitement ce type de
rivalité froide, défiant à chaque occasion les décisions de Saint-Jean, tout en
tentant de lui voler la vedette lors des interventions publiques.
Dans cette guerre sans merci, Bertrand n’a qu’un allié :
Gilles, son directeur de cabinet, interprété magistralement par Michel Blanc.
Mais peut-on réellement parler d’alliance ? Gilles est avant tout un stratège,
un homme de l’ombre qui connaît les rouages du pouvoir sur le bout des doigts.
Il manipule, négocie, anticipe, sans jamais laisser transparaître la moindre
émotion. C’est un personnage froid et cynique, mais incroyablement efficace, le
parfait contrepoint de Bertrand, plus idéaliste et humain. Leur relation est
complexe : Bertrand sait qu’il a besoin de Gilles pour avancer, mais il sent
également que ce dernier agit parfois dans son propre intérêt. La confiance est
fragile, toujours sur le fil, et Schoeller parvient à maintenir cette tension
tout au long du film.
La scène de l’accident constitue un pivot essentiel dans
le récit. Alors qu’il se rend sur le terrain, en pleine nuit, dans un geste
symbolique pour rester proche de la « vraie France », Bertrand est victime d’un
grave accident de la route. Schoeller filme cet événement avec une brutalité
saisissante, sans musique, sans fioritures, soulignant la violence crue de la
situation. C’est un moment de bascule où l’homme, écrasé par le poids de ses
responsabilités, se retrouve confronté à sa propre mortalité.
L’accident agit comme une métaphore du choc brutal que
représente la politique : une route glissante, des dangers inattendus, et une
survie qui dépend d’un fragile équilibre. Cet événement bouleverse Bertrand
autant physiquement que psychologiquement. Désormais marqué par cette
expérience, il doit continuer à assumer son rôle sous une pression accrue, tout
en dissimulant sa vulnérabilité. Gilles, fidèle à son personnage, ne voit dans
cet accident qu’une nouvelle carte à jouer dans les jeux d’influence : il réorganise
la communication autour de l’événement, cherchant à transformer ce drame en
avantage politique.
Au-delà des personnages principaux, Schoeller montre une
administration entière plongée dans le chaos d’un monde en perpétuelle
réactivité. Les conseillers et assistants s’agitent dans l’urgence permanente,
jonglant avec les imprévus et les injonctions contradictoires. Le monde
extérieur, quant à lui, est rarement visible autrement que par l’intermédiaire
des médias et des statistiques. Cette absence de contact direct avec le peuple
souligne l’isolement des élites, enfermées dans leurs bureaux feutrés, mais
constamment menacées par les retours de bâton des décisions prises dans
l’urgence.
Le film se termine sur une note ambivalente, presque
désespérée : Bertrand continue d’avancer, sans doute plus aguerri, mais aussi
plus désabusé. La politique l’a transformé. L’homme idéaliste du début n’est
plus qu’une ombre, une figure politique parmi d’autres, condamnée à naviguer
dans les eaux troubles du pouvoir.
L’Exercice de l’État n’est pas seulement une
plongée dans le monde politique, c’est une tragédie moderne où les hommes et
les femmes au sommet de l’État apparaissent comme des figures solitaires,
broyées par une machine bien plus grande qu’eux. Schoeller, avec une mise en scène
sobre et une écriture acérée, livre un constat glaçant : dans cet univers,
l’humanité n’est qu’un poids, et seul le cynisme permet de survivre. Une œuvre
magistrale, portée par des interprétations mémorables et une vision sans concession
du pouvoir.
NOTE : 16.20
FICHE TECHNIQUE
- Réalisation : Pierre Schoeller
- Scénario : Pierre Schoeller
- Photographie : Julien Hirsch
- Son : Olivier Hespel, Julie Brenta et Jean-Pierre Laforce
- Costumes : Pascaline Chavanne
- Montage : Laurence Briaud
- Musique : Philippe Schœller
- Production : Denis Freyd, Jean-Pierre et Luc Dardenne
- Production exécutive : André Bouvard
- Sociétés de production : Archipel 35, Les Films du Fleuve, France 3 Cinéma, en association avec la SOFICA Cofinova 7
- Olivier Gourmet : Bertrand Saint-Jean, le ministre des Transports
- Michel Blanc : Gilles, le directeur de cabinet du ministre
- Zabou Breitman : Pauline, la directrice de communication du ministre
- Laurent Stocker : Yan
- Sylvain Deblé : Martin Kuypers, le chauffeur silencieux
- Didier Bezace : Dominique Woessner, le collègue de promotion de Gilles
- Jacques Boudet : le sénateur Juillet
- François Chattot : le ministre de la Santé, Falconetti
- Gaëtan Vassart : Loïk
- Arly Jover : Séverine Saint-Jean, la femme de Bertrand
- Éric Naggar : le Premier ministre
- Anne Azoulay : Josepha, la compagne de Kuypers
- Abdelhafid Meltasi : Louis-Do
- Christian Vautrin : Nemrod
- François Vincentelli : le ministre du Budget, Peralta
- Stéphan Wojtowicz : le président de la République
- Philippe du Janerand : le secrétaire général de la Présidence de la République
- Ludovic Jevelot : Tintin, le chauffeur jeune papa
- Marc-Olivier Fogiel : lui-même
- Gilles Bellomi : le commandant des pompiers
- Brigitte Lo Cicero : la femme nue du rêve crocodile
- Jade Phan-Gia : Kenza
- Brice Fournier : le député Prade
- François Berland : Guillemot, patron de la SNCF
- Marine Faure : Gwenaëlle
- Emmanuel Gayet : Morange
- Réginald Huguenin : le préfet des Ardennes
- Nicolas Jouhet : le délégué syndical
- Serge Noel : Mougins
- Régis Romele : le manifestant
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