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mardi 14 janvier 2025

16.20 - MON AVIS SUR LE FILM L'EXERCICE DE L'ETAT DE PIERRE SCHOELLER (2011)

 


Vu le film L’Exercice de l’Etat de Pierre Schoeller (2011) avec Olivier Gourmet Michel Blanc Zabou Breitman Laurent Stocker Sylvain Deblé Didier Bezace François Chatot Eric Naggar Jacques Boudet Arly Jover

Au Ministère des Transports, au lever du jour, des kurokos préparent le bureau du ministre tandis que d'autres escortent une jeune femme nue, qui entre dans la pièce principale, puis avance à quatre pattes et plonge tête la première dans la gueule grande ouverte d'un crocodile.

C'était un rêve. Le ministre des Transports, Bertrand Saint-Jean, est réveillé en pleine nuit pour une urgence : un accident de bus s'est produit sur une route départementale.

Le gouvernement français souhaite mener un plan de privatisation de gares ferroviaires. Bertrand Saint-Jean est appelé à jouer un rôle majeur dans cette réforme. Pourtant il la désapprouve, tout comme son équipe, en particulier son directeur de cabinet Gilles

Après le sensible et humaniste Versailles, Pierre Schoeller change radicalement de registre avec L’Exercice de l’État, un film froid et implacable, au cœur du pouvoir politique français. Ici, la politique est dépeinte comme une jungle où règnent la rivalité et le cynisme. On ne gouverne pas, on survit. Et cette survie passe autant par les luttes internes que par la gestion des crises publiques. Le film s’ouvre avec une métaphore puissante : un ministre doit être comme un crocodile, capable d’attaquer et de se défendre, sans état d’âme. Cette image revient tout au long du récit, symbolisant une sphère où l’empathie est un luxe qu’aucun des personnages ne peut se permettre.

L’une des forces majeures du film est la peinture des relations entre les différents ministres, marquées par la duplicité et la méfiance. Bertrand Saint-Jean, nouveau ministre des Transports, se trouve rapidement confronté à un environnement hostile. Ses collègues ne sont pas là pour l’épauler, mais pour tester ses limites et, souvent, le pousser à la faute. Certains cherchent à protéger leur territoire, d’autres à faire avancer leurs propres agendas, souvent au détriment du bien commun. Bertrand, encore novice dans cet univers de requins, subit une pression constante de la part des membres du gouvernement et des cabinets ministériels.

On assiste ainsi à une série d’affrontements feutrés où les sourires de façade dissimulent des poignards prêts à être plantés dans le dos. Le ministre de l’Économie, notamment, incarne parfaitement ce type de rivalité froide, défiant à chaque occasion les décisions de Saint-Jean, tout en tentant de lui voler la vedette lors des interventions publiques.

Dans cette guerre sans merci, Bertrand n’a qu’un allié : Gilles, son directeur de cabinet, interprété magistralement par Michel Blanc. Mais peut-on réellement parler d’alliance ? Gilles est avant tout un stratège, un homme de l’ombre qui connaît les rouages du pouvoir sur le bout des doigts. Il manipule, négocie, anticipe, sans jamais laisser transparaître la moindre émotion. C’est un personnage froid et cynique, mais incroyablement efficace, le parfait contrepoint de Bertrand, plus idéaliste et humain. Leur relation est complexe : Bertrand sait qu’il a besoin de Gilles pour avancer, mais il sent également que ce dernier agit parfois dans son propre intérêt. La confiance est fragile, toujours sur le fil, et Schoeller parvient à maintenir cette tension tout au long du film.

La scène de l’accident constitue un pivot essentiel dans le récit. Alors qu’il se rend sur le terrain, en pleine nuit, dans un geste symbolique pour rester proche de la « vraie France », Bertrand est victime d’un grave accident de la route. Schoeller filme cet événement avec une brutalité saisissante, sans musique, sans fioritures, soulignant la violence crue de la situation. C’est un moment de bascule où l’homme, écrasé par le poids de ses responsabilités, se retrouve confronté à sa propre mortalité.

L’accident agit comme une métaphore du choc brutal que représente la politique : une route glissante, des dangers inattendus, et une survie qui dépend d’un fragile équilibre. Cet événement bouleverse Bertrand autant physiquement que psychologiquement. Désormais marqué par cette expérience, il doit continuer à assumer son rôle sous une pression accrue, tout en dissimulant sa vulnérabilité. Gilles, fidèle à son personnage, ne voit dans cet accident qu’une nouvelle carte à jouer dans les jeux d’influence : il réorganise la communication autour de l’événement, cherchant à transformer ce drame en avantage politique.

Au-delà des personnages principaux, Schoeller montre une administration entière plongée dans le chaos d’un monde en perpétuelle réactivité. Les conseillers et assistants s’agitent dans l’urgence permanente, jonglant avec les imprévus et les injonctions contradictoires. Le monde extérieur, quant à lui, est rarement visible autrement que par l’intermédiaire des médias et des statistiques. Cette absence de contact direct avec le peuple souligne l’isolement des élites, enfermées dans leurs bureaux feutrés, mais constamment menacées par les retours de bâton des décisions prises dans l’urgence.

Le film se termine sur une note ambivalente, presque désespérée : Bertrand continue d’avancer, sans doute plus aguerri, mais aussi plus désabusé. La politique l’a transformé. L’homme idéaliste du début n’est plus qu’une ombre, une figure politique parmi d’autres, condamnée à naviguer dans les eaux troubles du pouvoir.

L’Exercice de l’État n’est pas seulement une plongée dans le monde politique, c’est une tragédie moderne où les hommes et les femmes au sommet de l’État apparaissent comme des figures solitaires, broyées par une machine bien plus grande qu’eux. Schoeller, avec une mise en scène sobre et une écriture acérée, livre un constat glaçant : dans cet univers, l’humanité n’est qu’un poids, et seul le cynisme permet de survivre. Une œuvre magistrale, portée par des interprétations mémorables et une vision sans concession du pouvoir.

NOTE : 16.20

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