Vu le Film La Passante du Sans Souci de Jacques Rouffio (1983) avec Romy Schneider Michel Piccoli Wendelin Werner Jacques Martin Gérard Klein Helmut Griem Mathieu Carrière Dominique Labourier
Au cours d'une audience en vue de la libération d'un prisonnier politique, Max Baumstein, Suisse, président d'une organisation humanitaire, se met à parler allemand à son interlocuteur, l'ambassadeur du Paraguay, Federico Lego, lui demande s'il est bien Ruppert von Legaart et s'il se rappelle Elsa et Michel Wiener, puis sort une arme de sa serviette et l'abat froidement.
Arrêté, il raconte à son épouse Lina sa vie dans l'Allemagne sous le régime nazi, puis, durant son procès, sont évoqués d'autres aspects de cette période.
Boîte de mouchoirs obligatoire, et pas seulement par coquetterie nostalgique : La Passante du Sans-Souci est de ces films qui avancent à pas feutrés avant de vous prendre à la gorge. Jacques Rouffio adapte Joseph Kessel sans emphase inutile, mais avec une gravité constante, presque pudique, qui fait tout le prix du film. On est ici dans une grande exploration de la Seconde Guerre mondiale, non pas par le spectaculaire, mais par ses cicatrices : celles laissées aux Juifs, aux communistes, aux survivants, et à la mémoire elle-même.
Le film est aussi – et surtout – un monument du cinéma français pour une raison essentielle : Romy Schneider. Grande, unique, irremplaçable. Ce sera le dernie rôle de cette grande comédienne , Dans ce double rôle à l’opposé l’un de l’autre, elle incarne Elsa Wiener, femme de courage et de lumière au cœur des ténèbres nazies, puis Lina Baumstein, près d’un demi-siècle plus tard, femme au caractère trempé, amoureuse, blessée, traversée par un passé qui refuse de mourir. Deux femmes, deux époques, une même douleur. Et cette ressemblance troublante entre Elsa et Lina – on dirait du Lelouch sans la musique – agit comme une bombe à retardement émotionnelle, bouleversant le présent en forçant le passé à remonter à la surface.
Face à elle, Michel Piccoli est immense. Son Max Baumstein, enfant sauvé de la barbarie, devenu homme hanté par ce qu’il doit à celle qui lui a donné une seconde vie, est d’une justesse bouleversante. Piccoli joue la retenue, la faille, la dignité, sans jamais appuyer. Le film repose sur lui comme sur un pilier, silencieux mais indestructible.
Impossible, quand on connaît l’histoire de Romy Schneider, de faire abstraction. Elle cache dans ce double rôle la douleur réelle de sa vie : la perte de son fils, celle de son mari, la maladie qui s’installe. Tout affleure dans son regard, dans sa voix, dans cette fatigue qui n’est jamais jouée. Ce n’est pas du pathos, c’est de la vérité. Et cela rend chaque scène presque insoutenable de beauté tragique.
Autour d’eux, le casting réserve des surprises troublantes : Gérard Klein (l’animateur des Routiers sont sympas) dans un rôle ambigu, presque inquiétant ; Jacques Martin chantant et dansant dans un cabaret aux déguisements improbables pendant la guerre – vision presque irréelle, comme si le grotesque venait souligner l’horreur. Rouffio filme sans fioritures, avec une mise en scène sobre, parfois sèche, laissant le scénario et les acteurs faire le travail. Et ils le font.
Clin d’œil vertigineux du réel : le jeune Max est interprété par Wendelin Werner. L’enfant était déjà une tête bien faite ; il deviendra un immense mathématicien, lauréat de la médaille Fields en 2006, l’équivalent du Nobel. Comme quoi, le cinéma peut parfois mener aux grandes causes, et même aux grandes équations.
La Passante du Sans-Souci est un film que seuls les Français savent faire : intime, politique, émotionnel sans jamais être démonstratif. Un grand Piccoli, une immense Romy Schneider, et un film qui, longtemps après le générique, continue de marcher à vos côtés… comme une passante qu’on n’oubliera jamais.
NOTE : 15.20
FICHE TECHNIQUE
- Réalisation et coadaptation : Jacques Rouffio
- Assistants réalisateur : Claire Denis, Alain Peyroliaz, Sabine Eckhard.
- Adaptation : Jacques Kirsner, d'après le roman de Joseph Kessel
- Dialogues : Jacques Kirsner
- Photographie : Jean Penzer
- Montage : Anna Ruiz
- Musique : Georges Delerue - Chanson d'exil interprétée par Talila
- Décors : Jean-Jacques Caziot, Hans-Jürgen Kiebach
- Costumes : Catherine Leterrier
- Son : William-Robert Sivel (à qui le film est dédié)
- Producteurs : Artur Brauner, Raymond Danon et Jean Kerchner producteur exécutif
- Directeur général de production : Jean Kerschner
- Directeur de production en Allemagne : Peter Hahne
- Collaboration à la production : Ralph Baum
- Sociétés de production : Elephant Productions - Les Films A2 (Paris) - CCC-Filmkunst (Berlin)
- Société de distribution : Parafrance
- Romy Schneider : Elsa Wiener / Lina Baumstein
- Michel Piccoli : Max Baumstein à 60 ans, président de l'ONG Solidarité internationale
- Wendelin Werner : Max à 12 ans, protégé d'Elsa après l'assassinat de son père par les nazis
- Gérard Klein : Maurice Bouillard, négociant en champagne, amoureux d'Elsa
- Helmut Griem : Michel Wiener, mari d'Elsa, éditeur antinazi
- Mathieu Carrière : Ruppert von Legaart, attaché à l'ambassade d'Allemagne (1934), puis ambassadeur du Paraguay à Paris sous le nom de Federico Lego
- Dominique Labourier : Charlotte Maupas, l'amie et collègue entraîneuse d'Elsa
- Jacques Martin : Marcel Turco, patron du cabaret Le Rajah où travaillent Elsa et Charlotte
- Véronique Silver : la présidente du tribunal
- Pierre Michael : Maître Jouffroy
- Martine de Breteuil : le professeur de la Philharmonie des Sans-souci
- Jacques Nolot : le bistrotier du Sans-Souci qui tient à serrer la main à Max Baumstein
- Jean Reno : l'homme qui agresse verbalement Lina à la sortie du tribunal
- Maria Schell : Anna Hellwig, qui présente l'urne funéraire de son mari à Maurice
- Marcel Bozonnet : Charles Mercier
- Christiane Cohendy : Hélène Nolin
- Pierre Pernet : ?
- Alain MacMoy : l'avocat lors du procès de Max Baumstein

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