Pages

mardi 16 décembre 2025

16.40 - MON AVIS SUR LE FILM VINCENT FRANCOIS PAUL ET LES AUTRES DE CLAUDE SAUTET (1974)

 


Vu le Film Vincent François Paul et les Autres de Claude Sautet (1974) avec Michel Piccoli Yves Montand Serge Reggiani Marie Dubois Gérard Depardieu Stéphane Audran Umberto Orsini Ludmila Mikael Antonella Luadi Catherine Allegret Myriam Boyer Jacques Richard 

 

Des amis de longue date, Vincent, François, Paul — respectivement chef d'entreprise, médecin et écrivain —, tous la cinquantaine, se retrouvent régulièrement avec d'autres, dont le jeune boxeur Jean, pour boire, manger, discuter et passer des fins de semaine à la campagne, chez Paul. Ils traversent tous plus ou moins une mauvaise passe sentimentale ou professionnelle. Vincent, par exemple, qui fut l'un des plus forts d'entre eux, accuse difficilement le coup depuis que sa femme Catherine l'a quitté ; il doit également faire face à des difficultés financières au sein de son entreprise. Et c'est justement à la suite d'un problème cardiaque vécu soudainement par Vincent que tous, autour de lui, vont peu à peu prendre conscience de la relativité de leurs problèmes personnels. 

Vincent, François, Paul et les autres de Claude Sautet, c’est un peu les Copains d’abord version cinéma, mais sans Brassens qui chante en fond sonore, parce que Sautet préfère filmer les copains en train de refaire le monde autour de fumée de cigarettes et de verres bien garnis. Le film s’ouvre sur cette sensation : on entre dans un cercle, pas dans un scénario classique. Les personnages sont là, entremêlés par les hasards et les fidélités, mais surtout par leurs conversations, leurs désirs et leurs emmerdes. 

Vincent (Montand) est le patriarche fragile d’un groupe déjà marqué par les épreuves : sa femme vient de le quitter, et il va bientôt subir une attaque. Montand joue cela avec une dignité fragile, ce mélange de charme et de lassitude qui rend chaque plan où il apparaît magnétique. François (Piccoli), lui, est le cœur du chaos sentimental : ses histoires avec les femmes, ses soucis d’amitié et ses hésitations intimes occupent une place centrale, et Piccoli réussit à rendre chaque moment crédible, drôlement humain et profondément attachant. Paul (Reggiani), en retrait, est pourtant la pièce essentielle du mécanisme : silencieux, attentif, et toujours là pour maintenir l’équilibre, c’est dans sa maison que se retrouvent les amis. 

Sautet adore filmer les repas et les réunions d’amis. Ces scènes sont l’âme du film : on parle de tout, mais surtout de soi, de ses amours, de ses échecs sentimentaux, de ses emmerdes. Le présent y est filmé avec un tact extraordinaire : un regard, une cigarette que l’on allume, un verre que l’on repose, tout devient révélateur de la vie des personnages. Les dialogues sont simples, mais d’une beauté rare, parce qu’ils portent les silences autant que les mots, et qu’ils révèlent la texture des relations entre ces hommes. 

Les femmes sont là, souvent en retrait, mais essentielles par leur absence et leur poids sur les décisions et émotions des hommes. Sautet ne les montre pas comme des personnages secondaires par négligence : il montre l’équilibre masculin déséquilibré autour d’elles. C’est dans ces moments-là que l’humour surgit : un mot, un regard, une pique, et tout le monde est exposé, y compris Vincent qui vient juste d’avoir une attaque (CQFD). Ces instants révèlent le talent de Sautet pour capturer la vérité du monde des hommes entre eux, avec leur vanité, leur fragilité et leur amitié indéfectible. 

Le film est une mosaïque de moments, où chaque acteur apporte sa vibration propre. Montand, Piccoli et Depardieu forment un triangle d’amitié et de tensions qui rend le film vivant. La caméra de Sautet reste souvent proche, sans pathos ni emphase, laissant les acteurs exister dans un espace crédible : on ne les regarde pas, on participe à leur cercle, on s’assoit à la table, on allume une cigarette, on verse du vin, on rit, on soupire. 

Le scénario, d’une simplicité apparente, est en réalité une machine à explorer l’âme des hommes et leurs contradictions. Les histoires sentimentales, les séparations, les blessures passées et les fidélités présentes sont entrelacées, mais ce n’est jamais lourd. Sautet sait mettre en scène le présent, la vie telle qu’elle est, sans artifice. Chaque geste, chaque parole, chaque regard est un révélateur de caractère et de relations. 

Le jeune boxeur (Depardieu) impose déjà sa présence, même nu : il n’a pas besoin de dialogues pour occuper l’espace. C’est un aimant autour duquel gravitent les plus expérimentés. Cela crée un équilibre parfait entre l’expérience des anciens et l’énergie des jeunes, un mélange de gravité et de légèreté qui traverse tout le film. On sent le passage du temps, les amitiés qui tiennent bon, les blessures qui persistent, mais toujours avec une élégance et une tendresse infinie. 

Sautet réussit aussi l’exploit de montrer la fumée de cigarettes comme un élément de décor, presque un personnage supplémentaire, enveloppant les conversations, les silences et les confidences. Le rythme est lent, naturel, mais jamais ennuyeux. Chaque plan respire, chaque phrase est ciselée, et on se laisse volontiers porter par ce monde où les hommes parlent surtout de leurs amours, de leurs amis et de leurs emmerdes. 

Et puis, il y a la dégustation à table : le vin, la nourriture, les silences et les éclats de rire créent une atmosphère où le spectateur devient complice. On n’est plus seulement devant un film, on partage une expérience. Sautet filme l’amitié comme un rite, un échange fragile mais solide, et on sort de la salle avec cette sensation : on aurait aimé rester encore un peu autour de la table, avec Vincent, François, Paul et les autres, en parlant de tout et de rien, avec nos verres à la main. 

Vincent, François, Paul et les autres est un chef-d’œuvre de la comédie dramatique française, non pas par sa grandeur spectaculaire, mais par sa capacité à capturer l’instant, les regards, les gestes et la parole. Les acteurs sont sublimes, la mise en scène discrète mais précise, le scénario fluide mais profond, et Sautet transforme chaque scène de repas, chaque cigarette, chaque verre en leçon de cinéma et de vie. On rit, on soupire, on s’émeut, et surtout, on se sent partie intégrante de ce cercle d’amis, témoin privilégié d’une époque et d’un art de vivre que Brassens aurait reconnu. 

On s’assoit, on déguste une bonne bouteille autour d’une table avec nos copains — et c’est exactement ça, le cinéma de Sautet. 

NOTE ; 16.40

FICHE TECHNIQUE


DISTRIBUTION

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire