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dimanche 23 février 2025

13.10 - MON AVIS SUR LE FILM THE PLAYER DE ROBERT ALTMAN (1992)


Vu le film The Player de Robert Altman (1992) avec Tim Robbins Greta Scacchi Whoopi Goldberg Fred Ward Peter Gallagher Brian James Vincent d’Onofrio Dean Stockwell Lyle Lovett Sydney Pollack

 Griffin Mill, directeur de production à Hollywood, reçoit des cartes postales anonymes menaçantes. Il semble qu’elles émanent d’un auteur, dont le scénario aurait été recalé. Par ailleurs, il craint pour son emploi, d’autant qu’un transfuge de la concurrence est embauché, à ses côtés.

Après une brève enquête, le nom de David Kahane s’impose comme celui de l’auteur des menaces. Mill se rend à son domicile à Pasadena, où il a un entretien téléphonique avec la compagne de Kahane, June. Il apprend que l'auteur est au cinéma pour voir Le Voleur de bicyclette de Vittorio De Sica. Après la projection, ils se rencontrent et dans un bar, Mill lui propose une collaboration. Dans la rue, la discussion s’envenime, ils en viennent aux mains ; Kahane est tué.

Avec The Player, Robert Altman livre une satire mordante d'Hollywood, dévoilant avec un humour noir acéré les dessus chics et les dessous chocs de l'industrie du cinéma. Maître incontesté du film choral, Altman orchestre ici un ballet virtuose de personnages et de situations, jouant avec les conventions du thriller policier tout en offrant une réflexion cinglante sur le pouvoir, l'ambition et l'hypocrisie du système hollywoodien.

The Player commence par un plan-séquence de huit minutes d'une fluidité époustouflante, un hommage à La Soif du mal d'Orson Welles, mais aussi une démonstration de maîtrise technique qui plonge le spectateur au cœur des studios hollywoodiens. Dès ce début magistral, le ton est donné : on est dans les coulisses de l'industrie du rêve, là où tout est faux-semblant, manipulations et jeux de pouvoir. Altman nous invite à suivre Griffin Mill, un producteur cynique interprété avec brio par Tim Robbins, en pleine crise existentielle. Mill reçoit des lettres de menaces anonymes, écrites par un scénariste qu'il a éconduit sans ménagement, comme tant d'autres dans cette machine à broyer les rêves.

Griffin Mill n'est pas seulement un personnage ; il est l'incarnation même du système hollywoodien. Arrogant, calculateur, obsédé par son statut, il est prêt à tout pour conserver son pouvoir, y compris à commettre un meurtre. La scène où il confronte David Kahane (interprété par Vincent D'Onofrio) est magistrale : un échange tendu qui vire à la tragédie absurde. En tuant Kahane, Mill croit s'être débarrassé de son problème, mais c'est le début d'une spirale infernale de paranoïa et de culpabilité.

Altman utilise cette intrigue policière pour construire une satire caustique d'Hollywood, où le crime passe inaperçu tant qu'il ne menace pas le profit. La véritable obsession des personnages n'est pas la morale, mais le box-office. C'est un univers où tout le monde trahit tout le monde, où l'art est sacrifié sur l'autel du succès commercial. Le portrait est cruel, mais hilarant tant Altman pousse l'absurde à son paroxysme.

Ce cynisme est renforcé par le choix de Tim Robbins, parfait en producteur froid et manipulateur. Robbins joue Mill avec une subtilité remarquable, alternant entre assurance glaciale et vulnérabilité paranoïaque. Greta Scacchi est également excellente en June Gudmundsdottir, amante énigmatique dont le détachement accentue l'isolement de Mill. Quant à Whoopi Goldberg, elle apporte une touche d'humour grinçant en détective désinvolte qui semble plus intéressée par les ragots hollywoodiens que par l'enquête criminelle.

Là où The Player frappe fort, c'est dans son incroyable galerie de caméos. Altman convoque un casting impressionnant de stars jouant leur propre rôle : Bruce Willis, Julia Roberts, Cher, John Cusack, Anjelica Huston... La liste est longue, et le générique devient un jeu de piste réjouissant pour les cinéphiles. Voir ces icônes du cinéma se parodier elles-mêmes ajoute une dimension méta au film, renforçant l'idée que tout n'est qu'illusion à Hollywood, y compris les stars.

Altman s'en donne à cœur joie en multipliant les clins d'œil au travers de l'industrie : les pitchs absurdes qui fusionnent deux succès passés pour garantir un "blockbuster" (comme ce Rencontre du troisième type croisé avec Love Story), les réunions hypocrites où personne n'ose dire ce qu'il pense vraiment, les scénaristes réduits à l'état de mendiants implorant une chance... La satire est sans pitié. C'est une revanche sous extasy pour Altman, qui n'a jamais été en odeur de sainteté à Hollywood, lui le franc-tireur qui a toujours préféré suivre son instinct artistique plutôt que de se plier aux diktats des studios.

Ce qui rend The Player encore plus fascinant, c'est son audace narrative. En mêlant thriller et comédie noire, Altman déconstruit les genres pour mieux les subvertir. La fin du film est d'une ironie mordante : Griffin Mill, non seulement s'en sort impuni, mais il est même récompensé en prenant la tête du studio. Le dernier plan, où Mill reçoit une nouvelle lettre de menace qui se révèle être... un pitch de film basé sur ses propres crimes, est un sommet de cynisme jubilatoire.

Pourtant, malgré son génie satirique, le film a vieilli sur certains aspects, notamment dans son rythme parfois étiré et sa vision d'un Hollywood des années 90 qui paraît désormais lointain. Mais un film de Robert Altman reste comme un grand cru : il conserve toujours une saveur unique, même avec le temps. The Player est une œuvre essentielle dans la filmographie d'Altman, un brûlot iconoclaste qui rappelle l'importance de conserver une vision personnelle face aux compromis de l'industrie.

The Player est une satire brillante, un polar cynique et une comédie grinçante sur un Hollywood qui n'a finalement pas tant changé. C'est aussi une lettre d'amour empoisonnée au cinéma, un art qui jongle en permanence entre rêve et cynisme. Altman dépeint un monde où même les meurtres peuvent être transformés en films à succès, tant qu'ils respectent la sacro-sainte règle du happy end. Un chef-d'œuvre d'humour noir à (re)découvrir, pour rire (jaune) face à l'hypocrisie du système.

NOTE : 13.10

FICHE TECHNIQUE

  • Réalisation : Robert Altman

  • DISTRIBUTION


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