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dimanche 17 mai 2015

UNE FEMME IRANNIENNE DE NEGAR AZARBAYJANI par Critique Chonchon

Une femme iranienne.
Bien que Rana (Ghazal Shakeri) soit une femme traditionnelle, en plus de son travail dans un atelier de couture, elle est forcée de conduire un taxi à l'insu de sa famille pour rembourser la dette qui empêche Sadegh (Saber Abbar), son époux, de sortir de prison. Elle parvient à mener ces deux boulots grâce à la complicité de son amie et collègue Akram (Maryam Boubani) qui lui garde son fils.
Par chance, elle rencontre la riche et rebelle Adineh Tolooyi (Shayesteh Irani), désespérément en attente d’un passeport pour quitter le pays et ainsi échapper à un mariage forcé que veut lui imposer son père (Homayoun Ershadi) et son frère Emad (Nima Shahrokhshadi), plus aimant, mais lui aussi sous le joug du patriarche.
Les deux femmes vont s’aider mutuellement, tant que Rana ignore qu’Adineh cache un lourd secret…
En effet, que se passera-t-il lorsque Rana comprendra qu'Adineh est "intersexe", une femme qui se sent homme, et veut changer de sexe ?
Un tel sujet, proposé par le cinéma iranien, fort remarqué à Cannes, Brisbane, Kiev, Montréal, Washington... l'an dernier, obtenant à juste titre le Grand Prix du Festival Chéries-Chéris, quand les pays "occidentaux" sont plutôt tétanisés par la Manif pour Tous et peinent désormais à présenter des films de qualité sur ce genre de sujet, c'est notable.
Il faut savoir en préambule que si l'homosexualité est atrocement réprimée en Iran (peine de mort !), la transexualité y est chondrome comme une "maladie", et que le changement de sexe ("homme -> femme" comme "femme -> homme") est totalement accepté, légal, et pris en charge par l'État. Ce qui fait donc le sujet ici, c'est le fonctionnement social, les répercussions familiales (honneur, déshonneur, honte, etc...) et sociales.
Il faut noter aussi que c'est un film "de femmes" : au scénario, à la production, à la réalisation, à l'essentiel de l'interprétation. Je pense, et sans tomber dans des clichés sexistes, que cette sororité qui se meut peu à peu en amitié, ne pouvait émaner que des femmes elles-mêmes. Il y a un engagement politique à traiter de ces sujets qui tient à une "viscéralité" éminemment féminine, sans pour autant prétendre qu'un homme n'y parviendrait pas.
Le film s'ouvre sur une scène remarquable : Rana au parloir, face à son mari. Avec une infinie délicatesse, tant du point de vue des dialogues, du jeu délicat des acteurs, des plans superbement cadrés... on est saisi par l'amour qui unit ces deux-là. Avec une délicatesse toute persane, ils s'imaginent buvant le thé tous les deux ensemble, et c'est magnifique !
Après cela, le postulat du film est d'évoquer la condition féminine en Iran à travers la relation d'amitié entre Rana et Adineh. Comme le déclare la réalisatrice Negar Azarbayjani, "Une Femme Iranienne raconte l'histoire de deux femmes différentes : la première est transgenre et souhaite devenir un homme, la seconde est chauffeur de taxi par nécessité. L'essence même du film est centré sur cette relation d'amitié que développent ces deux personnes aux parcours peu communs."
Nous sommes habitués à une utilisation et une symbolique de la voiture, dans nos cultures "occidentales", très précise : pénis de substitution, succédané de virilité, cascades, poursuites, voire parfois symbole de liberté et d'insoumission, etc... Comme l'a déjà montré Alain Guiraudie dans "L'inconnu du lac", on peut aussi filmer une ronde de voiture, presque lancinante, symbole de rencontres, de rythmes, d'échanges... Ce fut aussi récemment l'un des propos de Jafar Panahi avec son excellent "Taxi Téhéran".
Comme ses collègues, la réalisatrice n’a pas froid aux yeux et, sous couvert de mélodrame, livre une critique acide d’une société patriarcale encore plus conservatrice que le pouvoir en place. S’il est parfois trop "pédagogique" et explicatif, ce film offre une vision accablante de la condition féminine en Iran. Ce n'est pas le moindre de ses mérites.
Le réquisitoire qui s'ensuit pour le droit des transgenres iraniens au respect social paraît parfois appuyé. Mais les virages du scénario, qui lance les deux femmes, telles "Thelma et Louise", sur les chaussées iraniennes froides et escarpées, avant de les réunir dans une domesticité complice, inattendue, presque tendre est passionnant. Le parcours de Rana, qui ne cesse de grandir en bienveillance et en affection (un sujet récurrent au cinéma) est selon moi un modèle du genre.
"Une femme iranienne" est un film touchant et juste, porté par la présence et le charisme de ses deux interprètes principales, Ghazal Shakeri toute de douceur et de bienveillance, Shayesteh Irani toute de colère et de rage.
Un espoir fou, un peu candide, traverse ce premier film sensible et culotté. Réalisé par une femme, bravade ultime en Iran. C'est mené tambour battant entre dialogues et coup de démarreur, traits d'humour et rebondissements, c'est écrit au cordeau et magistralement interprété, et ça reflète avec adresse l'incroyable vitalité de citoyens sous surveillance, acculés au mensonge, à la fuite... voire aux transmutations les plus inattendues.
L'Art est une réponse fatale à l'oppression. Et le cinéma iranien ne cesse de le démontrer avec vigueur et talent depuis quelques années déjà.

Critique Chonchon 

Une Femme Iranienne de Negar Azabayjani avec Ghazal Shakeri, Saber ABar et Maryam Boubani

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