Vu le film Les Aristocrates de Denys de la Patellière (1955) avec Pierre Fresnay Brigitte Auber Maurice Ronet Jacques Dacqmine Alain Quercy Georges Descrières François Guérin Guy Decomble
Dans un domaine bourguignon, le marquis de Maubrun règne sur sa famille et son domaine. Digne héritier des vertus et des traditions ancestrales de l'aristocratie, un vent de révolte souffle sur les héritiers Maubrun : sa fille Daisy, amoureuse de son voisin Christophe de Conti, fils d'un parvenu qui a acheté son titre de noblesse, n'accepte pas le refus paternel à son mariage. Son fils aîné Artus, ayant réussi dans les affaires, veut l'ouvrir au capitalisme pour sauver le domaine familial qui tombe en décrépitude. Le marquis fait alors le triste constat qu'il n'accepte et ne comprend plus le monde tel qu'il est devenu, où l'argent et le bonheur passent avant l'honneur et le devoir qu'entraîne l'aristocratie, à bout de souffle et ayant besoin de sang nouveau. Un drame familial pousse alors le marquis à prendre une décision radicale.
Denys de La Patellière signe avec Les Aristocrates un drame à la fois feutré et crépusculaire, adapté du roman à succès de Michel de Saint Pierre. Ce film, tourné en 1955, met en scène l’agonie discrète mais irrévocable d’un monde en train de s’effondrer : celui de l’aristocratie française rurale, cloîtrée dans ses châteaux et ses traditions, mais bousculée par les mutations sociales d’après-guerre.
Au cœur de cette chronique douce-amère, un patriarche digne, rigide, magnifique : le marquis de Maubrun, incarné avec une justesse rare par Pierre Fresnay. Il est le pilier d’une famille de vieille noblesse, vivant dans un domaine de Bourgogne au rythme des chasses, des messes et des souvenirs. Le film n’oppose pas brutalement l'ancien et le nouveau monde, mais montre comment, lentement, insidieusement, l’ancien se délite, rongé de l’intérieur.
Le marquis, homme d’un autre siècle, voit ses enfants s’éloigner de ses principes. Sa fille veut épouser un roturier. Son fils fréquente les milieux intellectuels. Et dans cette demeure où flottent encore les échos d’une guerre pas si lointaine, chaque entorse à la tradition est vécue comme une trahison. Le film capte avec finesse cette atmosphère d’effritement : les dorures s’écaillent, les silences deviennent lourds, les regards se détournent. L’ordre ancestral chancelle.
C’est un film où il ne faut pas chercher l’action, mais l'émotion enfouie, le conflit entre le devoir et le cœur. Le marquis est un homme seul, tragique, presque antique dans sa dignité. Fresnay, immense, ne joue pas : il incarne. Il incarne cette douleur contenue, cette incapacité à plier sans se rompre. Il est à la fois l’ombre tutélaire et le poids écrasant de la tradition.
Le drame explose quand un événement familial – que l’on ne dévoilera pas ici – fait voler en éclats le fragile équilibre. La douleur est d’autant plus intense qu’elle est retenue. C’est dans les regards, les silences de pierre, les dialogues ciselés que se loge l’émotion. Préparez vos mouchoirs : ce n’est pas une tragédie tonitruante, mais un deuil lent, discret, comme celui d’un monde qui s’éteint en silence.
Le film est aussi porté par une belle distribution : Jacques Dacqmine, Brigitte Auber, Maurice Ronet, tous impeccables dans leurs rôles. Et surtout cette photographie en noir et blanc qui donne aux intérieurs du château une gravité, une solennité presque sacrée. Les extérieurs, eux, baignent dans une lumière douce, automnale, comme si la nature elle-même s’apprêtait à dire adieu à ces vieilles pierres.
On y retrouve aussi, par bribes, des traces du soupçon – celui d’une époque où les rapports entre classes, les engagements de guerre, les choix faits sous l’Occupation laissent des cicatrices invisibles. Sans jamais être frontal, le film suggère que même la noblesse a pu vaciller dans ses certitudes, et que sous les apparences, la loyauté et l’honneur peuvent avoir été mis à rude épreuve.
Anecdotes : le film fut tourné dans un véritable château de Bourgogne, choisi pour sa dimension austère et majestueuse. Michel de Saint Pierre, l’auteur du roman, appartenait lui-même à une vieille famille aristocratique, et il y a beaucoup d’autobiographique dans son récit. Il avait voulu dénoncer non-l ’aristocratie en tant que telle, mais son aveuglement, son incapacité à comprendre l’époque nouvelle. Denys de La Patellière, ancien militaire reconverti dans le cinéma, partageait avec lui un goût pour les personnages droits, tragiques, souvent en porte-à-faux avec leur temps.
Les Aristocrates, c’est un film d’un autre temps, oui, mais qui résonne encore aujourd’hui, à l’heure où l’on interroge les héritages, les appartenances, les fidélités. Et si le marquis de Maubrun est figé dans ses valeurs, il nous bouleverse justement parce qu’il sent que tout lui échappe.
Un grand film discret, et une leçon de cinéma classique.
NOTE : 15.10
FICHE TECHNIQUE
- Réalisation : Denys de La Patellière
- Scénario : D'après le roman de Michel de Saint Pierre
- Adaptation : Roland Laudenbach, Denys de La Patellière
- Dialogues : Roland Laudenbach
- Assistant réalisateur : Maurice Delbez
- Images : Pierre Petit
- Opérateur : Noël Martin
- Musique : René Cloërec
- Décors : Paul-Louis Boutié, assisté d'Henri Sonois et Olivier Girard
- Montage : Robert et Monique Isnardon
- Son : Raymond Gauguier
- Maquillage : Igor Keldich
- Coiffures : Omer Bouban
- Photographe de plateau : Marcel Dole
- Script-girl : Colette Crochot
- Régisseur : Claude Hauser
- Production : ( S.F.C.)Société Française de Cinématographie , Société Nouvelle des Établissements Gaumont, Les Films Saint-James
- Chef de production : Roger Ribadeau-Dumas, Alain Poiré, Roland Laudenbach
- Directeur de production : Roger de Broin
- Distribution : Gaumont
- Tournage du au
- Pierre Fresnay : Le marquis de Maubrun
- Brigitte Auber : Daisy de Maubrun, la fille du marquis, amoureuse de Christophe de Conti
- Maurice Ronet : Christophe de Conti
- Jacques Dacqmine : Arthus de Maubrun, le fils aîné du marquis
- Georges Descrières : L'Abbé Philippe de Maubrun, un des fils du marquis
- Alain Quercy : Gontran de Maubrun, un des fils du marquis
- François Guérin : Pierre de Maubrun, un des fils du marquis
- Guy Decomble : Gustave
- Madeleine Barbulée : La patronne de l'hôtel
- Olivier de Tissot : Louis-César de Maubrun, un des fils jumeaux, âgé d'une dizaine d'années
- Philippe de Tissot : Osmond de Maubrun, l'autre fils jumeau, âgé d'une dizaine d'années
- Yolande Laffon : La tante Mathilde
- Suzanne Courtal : Marie Douillard, la fermière
- Michel Etcheverry : Maître Crouelles, le notaire
- Jane Morlet : Félicie
- Léo Joannon : Le prince de Conti
- René Bergeron : Le facteur
- Guy-Henry : Le boucher
- René Hell : Paul
- Michel Nastorg : Le visiteur
- Max Amyl : Un chasseur du prince
- Gisèle Grandpré :
- Jean Filliez :
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