Hugo Santiago, réalisateur de films cultes, figure de la communauté intellectuelle argentine et résidant en France, est mort à Paris, mardi 27 février, à l’âge de 78 ans. Auteur du fameux Invasion, présenté à la première Quinzaine des réalisateurs, au Festival de Cannes, en 1969, il était un homme de la renaissance, imprégné d’une culture musicale, littéraire et théâtrale. Il cultivait la conversation avec une exubérance tempérée par sa curiosité, ce qui lui a valu l’amitié de nombreux intellectuels français et argentins. « Je suis un Portègne à Paris et un Français en Argentine », disait-il.
Hugo Santiago Muchnik était né à Buenos Aires le 12 décembre 1939, dans une famille juive de professionnels de la télévision. L’apprentissage de la musique éveille sa sensibilité artistique dès l’enfance. Etudiant à la faculté de philosophie et de lettres de l’université de Buenos Aires, il fait la connaissance de l’écrivain Jorge Luis Borges, qui enseigne la littérature anglo-saxonne ancienne. Grâce à une bourse, il se rend à Paris, où il devient l’assistant attitré de Robert Bresson pendant plusieurs années. Avec la fréquentation assidue de la Cinémathèque française, il complète ainsi sa formation au septième art. Auprès de Bresson, il fait l’expérience d’une ascèse qui l’aide à épurer son expression, comme le montre son premier long-métrage, Invasion, tourné en Argentine, salué d’emblée comme un chef-d’œuvre.
Invasion a
été écrit en collaboration avec Borges et son vieux complice Adolfo Bioy
Casares, tous les deux grands amateurs de culture populaire et de roman
policier. Dans une ville imaginaire qui transfigure les signes d’identité de
Buenos Aires, une bande de résistants à l’allure désuète tente de repousser des
envahisseurs qui se distinguent à peine par l’utilisation plus fréquente d’imperméables.
L’argument sert de prétexte à une mise en scène éblouissante par son
utilisation du noir et blanc et des éclairages, des cadrages inattendus, d’une
interprétation à l’apparence décontractée, qui ménage l’émotion et la surprise.
Aucun film de cette époque aux radicalités militantes ne ressemble à Invasion,
qui tient un discours sur l’honneur et le courage sous ses airs de polar
expressionniste légèrement fantastique. Film allégorique sans doute, politique à
sa manière, mais à la sensibilité unique.
Puisque l’époque était effectivement troublée en Argentine,
Hugo Santiago reste en France, où il parvient après moult péripéties et avec
l’aide de Vincent et Louis Malle à tourner Les
Autres, également fruit de sa collaboration avec Borges et Bioy Casares.
Cette fois, la présentation au Festival de Cannes, en 1974, est une
catastrophe. La longue séquence initiale, sous des airs d’opéra, sans paroles
ni logique apparente, provoque les huées. Pour contrer ce jeu de
massacre, de nombreux intellectuels se mobilisent pour défendre le
film, à commencer par
Gilles Deleuze. Les Autres détonnent dans le paysage du cinéma français.
Les spectateurs peinent à comprendre ces
envolées expérimentales. Dans Ecoute voir (1979), l’auteur
fait endosser à
Catherine Deneuve les habits du privé, un travestissement plus accessible au
public.
Le réalisateur tire le meilleur parti de son écartèlement
entre deux cultures dans Les Trottoirs de Saturne (1986),
brillante variation sur les déchirements d’exilés argentins en France, qui
auraient pu être les survivants
d’Invasion. Les airs de tango lui donnent un air envoûtant, tantôt
lancinant, tantôt séduisant. Ensuite, Hugo Santiago met sa rigueur et sa
méticulosité au service de ce qu’il appelle, par modestie ou ironie, des « objets
audiovisuels », produits par l’Institut national de l’audiovisuel
(INA) et paar la chaîne Arte. Il alterne ainsi la captation de spectacles sur
les planches, théâtre ou danse, avec notamment des mises en scène d’Antoine
Vitez. Ses documentaires montrent son intérêt à la fois pour l’écrivain Maurice
Blanchot (1997) et pour la chanteuse brésilienne Maria
Bethania (2001), qu’il cerne de près. Il ne délaisse pas pour autant
la fiction, avec Le Loup de la côte Ouest (2002).
Le Ciel du Centaure (2015), tourné à Buenos
Aires, reste le dernier avatar de sa recherche labyrinthique, qui n’a cessé de
se dérober et de
le révéler tel qu’en
lui-même. A la fin, il a affronté une longue maladie. Dans Invasion,
il avait déjà choisi parmi les milongas (chansons) de Borges,
celle qui dit : « Mourir est une habitude que les gens
partagent volontiers. »
Source : Le Monde.FR
FILMOGRAPHIE
En tant que réalisateur
- 1967 : Los contrabandistas (court métrage)
- 1968 : Los taitas (court métrage)
- 1969 : Invasión
- 1974 : Les autres
- 1979 : Écoute voir
- 1986 : Les trottoirs de Saturne
- 1987 : Électre
- 1988 : La Geste gibeline
- 1991 : La Fable des Continents
- 1992 : La Vie de Galilée
- 1995 : Christophe Coin, le musicien
- 1997 : Maurice Blanchot (Un siècle d'écrivains)
- 2001 : Maria Bethânia do Brasil
- 2002 : Le loup de la côte Ouest
- 2015 : Le Ciel du centaure
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