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mardi 13 octobre 2015

JE SUIS A TOI de DAVID LAMBERT par Critique Chonchon

Lucas (Nahuel Perez Biscayart), un jeune argentin démuni, fait tout ce qu’il peut pour survivre à Buenos Aires. 
Sur internet, il rencontre Henry (Jean-Michel Balthazar), un boulanger belge qui souffre d'obésité et de solitude et qui rêve de le sauver de la prostitution. 
Lucas traverse l’Atlantique et arrive dans un petit village de Belgique pour devenir l’apprenti de Henry, mais il se sent vite prisonnier…
Audrey (Monia Chokri), la vendeuse de la boulangerie, a quant à elle tout pour lui plaire, mais, veuve inconsolée élevant seule son fils, elle se refuse à lui…

La pauvreté cinématographique proposée cette semaine, en dehors de l'exceptionnel "Fatima" de Philippe Faucon, j'ai fouillé dans les 24 sorties de la semaine, et j'ai dégotté "Je suis à toi" du très prometteur David Lambert, déjà auteur du scénario de "La Régate" en 2008 (avec le meilleur rôle de Sergi Lopez) et réalisateur du très bon "Hors les murs" en 2012 avec Guillaume Gouix. Bien m'en a pris.

La distribution est excellente. Jean-Michel Balthazar, partagé entre théâtre, télévision et cinéma nous vient de chez les Frères Dardenne, figurant notamment aux génériques de "La Promesse" (1995), "L'Enfant" (2004), "Le gamin au vélo" (2011), mais aussi de "Le couperet" de Costa gaveras (2005). Nahuel Perez Biscayart, jeune acteur plus que prometteur du cinéma argentin a déjà reçu toutes mes félicitations pour ses prestations dans "Au fond des bois" de Benoît Jacquot (2010) puis "Grand Central" de Rebecca Zlotowski, donnant la réplique à Olivier Gourmet et Reda Kateb. Quant à Monia Chokri, découverte chez Denys Arcand dans "L'âge des ténèbres", amis et actrice de Xavier Dolan dans "Les amours imaginaires" (2010) et "Laurence Anyways" (2012), mais aussi dans "Gare du Nord" de Claire Simon, je l'adore !

Pour le réalisateur, David Lambert, le film pose la question suivante : "Quel prix est-on prêt à payer pour être aimé ? Psychologiquement, socialement, financièrement ? Qu’est-ce qu’on offre et que reçoit-on en retour ?" "Je suis à toi", c'est la rencontre entre une misère affective et une misère économique.

Choisir, pour illustré son propos, un prostitué et un boulanger, peut-être les deux plus vieux métiers du monde, est une excellent idée, offrant une forme d'universalité au propos du film. Double bonne idée même, la boulangerie - là où se fait le pain, pas la boutique - se trouve être une décor particulièrement photogénique. Et lorsque que Henry, sur l'air d'Offenbach "Ah ! Que j'aime les militaires", le décor prend une étonnante dimension.

Côté réalisation, je n'ai pas peur de songer au chef d'oeuvre "Dancing" (2002) un film de et avec Patrick-Mario Bernard accompagné de Pierre Trividic. Le poésie mélancolique qui en ressort est du même acabit, même si "Je suis à toi" n'a pas la même envergure cinématographique.

Le titre, "Je suis à toi", est un écho à ce que recherchent les personnages : Lucas fait croire à Henri qu’il est à lui, Henri aimerait être complètement à Lucas, et enfin c’est Audrey qui aimerait retrouver ce sentiment d’appartenir à quelqu’un, mais qui n’y parvient pas vraiment. "Je suis à toi", c’est l’illusion de l’amour, car on a toujours envie d’être complètement à quelqu’un sans jamais y parvenir. Au final, toutes nos relations amoureuses contraignent notre libre arbitre. C’est ce que raconte le film. Et cette thématique de la possession, à l'heure où la société en mutation qui signe une fin de vie calamiteuse du capitalisme et qui prouve la nécessité du partage, est aussi une critique cinglante du monde actuel.

"Je suis à toi", contient des scènes de sexe crues, nécessaires pour poser le personnage de Lucas. Considéré par les autres comme «une bite sur pattes», il devient, peu à peu, un visage et un être humain à part entière. Pour mettre en scène cette évolution, il faut passer par des scènes de sexualité crues et d’autres plus douces, parfois pudiques. De façon salutaire, la prostitution n'est pas traitée ici comme dans la plupart des films, mais abordée sans le prisme de la culpabilité et de la rédemption, afin de se débarrasser des clichés.

"Je suis à toi" est un mélo comique, où cohabitent misère affective, sexuelle et économique. Quel prix est-on prêt à payer pour être aimé ? David Lambert répond avec un humour un peu barré, du sexe cru, un moment d'opérette et des kilos de tendresse pour ses trois personnages.

Voilà donc un film ne manque pas d’arguments et, toutes proportions gardées, se pose même en outsider plausible avec son histoire de triangle amoureux sur la corde raide, en surplomb d’une atmosphère malfaisante assez judicieusement parsemée d’élans poétiques ou drolatiques. Le film sait être touchant sans être plombant, ce qui le rend particulièrement recommandable pour qui a envie de découvrir une œuvre sensible brassant des thèmes adultes avec talent.


Critique de Je suis à toi de David Lambert par Critique Chonchon

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