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jeudi 3 juillet 2025

14.30 - MON AVIS SUR LE FILM FAMILLE TU ME HAIS DE GAEL MOREL (2O2O)


 Vu le Film Documentaire Famille Tu Me Hais de Gael Morel (2020)  

 Avec Famille, tu me hais, Gaël Morel signe un documentaire d’une intensité rare, à la fois bouleversant, sobre et profondément militant. Le titre, emprunté à une formule d’André Gide, claque comme une accusation. Il reflète le désespoir, mais aussi la lucidité d’une jeunesse sacrifiée sur l’autel des valeurs familiales les plus rétrogrades. En se concentrant sur les récits de jeunes adultes rejetés par leur propre famille en raison de leur orientation sexuelle, Morel met au jour une violence sourde et largement sous-estimée : l’homophobie intrafamiliale. Celle qui ne vient pas de l’extérieur, mais de l’intérieur du foyer. Celle qui brise les êtres dans ce qu’ils ont de plus intime, de plus vulnérable : le besoin d’être aimés et reconnus par leurs parents. 

En donnant la parole à ces jeunes — parfois à peine sortis de l’adolescence —, le film s’interdit tout pathos facile. Les témoignages sont bruts, souvent filmés en plan fixe, avec une retenue pudique qui n’enlève rien à leur puissance. Chacun d’eux raconte une fracture. Un coming out vécu comme un arrachement. Des mots qui tuent plus sûrement que des coups. Des portes fermées. Des silences assourdissants. Des insultes, des menaces, parfois des violences physiques. Et toujours, l’incompréhension, la honte imposée, l’exil forcé. En filigrane, c’est tout un système de valeurs normatives qui est remis en cause. Morel ne filme pas seulement des victimes : il filme des survivants. Des jeunes en quête de reconstruction, qui tentent de panser des plaies encore ouvertes, d’inventer une autre famille, choisie, bienveillante, solidaire. 

Le documentaire s’inscrit dans une démarche profondément engagée. Parrain de l’association Le Refuge, qui accueille les jeunes LGBT+ rejetés par leur entourage, Morel connaît intimement le sujet. Son film est à la fois un cri de colère, un geste de solidarité et un outil de sensibilisation. Il dénonce une hypocrisie sociale tenace : alors que la France se targue de progrès en matière de droits LGBT+, des dizaines de jeunes continuent chaque année à être mis à la rue parce qu’ils aiment “mal”, parce qu’ils échappent à la norme hétérosexuelle attendue. Et cette violence, trop souvent tue, se dissimule derrière les façades des pavillons, dans le confort apparent des familles “ordinaires”. 

À travers ces portraits croisés, ce que Gaël Morel met en lumière, c’est aussi le lent travail de reconstruction. Comment se relever quand on a été détruit par ceux qui devaient protéger ? Comment faire confiance, se projeter, aimer de nouveau ? Chaque témoignage est une réponse, fragile mais tenace. Il y a des larmes, bien sûr, mais aussi de la fierté, de la dignité, une force incroyable. On assiste à l’émergence de récits de résistance. Le Refuge, dans ce contexte, apparaît non pas comme une solution miracle, mais comme un phare. Un espace où l’on peut déposer la honte, renouer avec la parole, se réapproprier son histoire. 

Morel ne cherche pas l’effet choc ou la posture de donneur de leçons. Il filme avec humilité, avec respect. Et c’est précisément cette discrétion qui donne au film sa puissance. En se mettant en retrait, il laisse toute la place à ceux qui trop souvent n’en ont pas. Famille, tu me hais devient alors un acte politique autant qu’un geste cinématographique : une manière de redonner du visage, du corps et de la voix à ceux que la société relègue dans l’ombre. Le film est une arme douce mais tranchante, qui ne s’embarrasse pas d’euphémismes. 

Dans un contexte où les crispations identitaires refont surface, où les discours haineux circulent toujours plus librement, ce documentaire est salutaire. Il rappelle que la lutte contre l’homophobie commence à la maison. Que l’amour parental n’est pas toujours inconditionnel. Et qu’il est urgent de briser l’omerta. À sa manière, Famille, tu me hais fait œuvre de salubrité publique. C’est un documentaire nécessaire, que l’on aimerait montrer dans tous les établissements scolaires, dans tous les salons familiaux. Non pour accuser, mais pour éveiller. 

Gaël Morel, qu’on connaît comme acteur et réalisateur de fiction (À toute vitesse, Notre paradis), trouve ici une nouvelle forme de sincérité. Il met son art au service d’une cause essentielle, sans chercher à esthétiser la douleur. Son engagement, discret mais constant, irrigue chaque plan. En regardant Famille, tu me hais, on se dit que le cinéma peut encore servir à quelque chose. À ébranler. À consoler. À faire naître un peu d’empathie là où régnait l’ignorance ou l’indifférence. À ouvrir les yeux, les cœurs — et parfois, les portes. 

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