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vendredi 4 juillet 2025

16.10 - MON AVIS SUR LE FILM UN CONDE DE YVES BOISSET (1970)


  Vu le film Un Condé de Yves Boisset (1970) avec Michel Bouquet Michel Constantin Françoise Fabian Gianni Garko Pierre Massimi Henri Garcin Théo Sarapo Adolfo Celi Rufus Serge Nubret Roger Lumont 

Alors qu'il enquête sur une affaire de drogue, un inspecteur est abattu par un truand. Son collègue, l'Inspecteur Favenin, est chargé d'élucider ce crime. Il est prêt à tout pour sauver l'honneur de son collègue, y compris à outrepasser la loi. 

Un Condé (1970) reste l’un des films policiers les plus corrosifs et dérangeants de son époque. Inspiré de La Mort d’un Condé de Pierre Vial-Lesou, le film n’est pas seulement une enquête sur un meurtre, mais surtout un portrait d’homme en chute libre : l’inspecteur Favenin, glaçant Michel Bouquet, dont la lente descente dans la violence interroge frontalement les notions d’éthique, d’autorité et de justice. 

À sa sortie, j’avais 13 ans. Et pourtant, malgré les scènes chocs et la noirceur du propos, il était seulement interdit aux moins de 12 ans : une aberration au regard de ce que le film met en scène, notamment dans sa peinture crue, désabusée et cynique de la police. Avec la tension politique et morale de l’époque — Un Condé est un film post-68, tourné alors que la société française se fissure, que l’autorité vacille, et que les institutions sont de plus en plus soupçonnées de duplicité. 

Favenin, c’est le flic qui revient dans un monde où la loi ne protège plus rien. Son collègue Barnero (Massimi), sans doute trop honnête, trop droit, se fait exécuter par des truands dont la morgue n’a d’égal que leur sentiment d’impunité. Ce meurtre agit comme un déclic chez Favenin : la vengeance prend le pas sur l’enquête, la brutalité sur la procédure. Il ne demande pas le pouvoir, il le prend. Sous couvert d’une hiérarchie lâche ou complice, il déchaîne une violence froide, méthodique, presque fasciste. 

Boisset, pour son troisième long métrage, filme avec une rage maîtrisée. Son placement de caméra, souvent bas, fuyant, oppressant, capte un monde où tout semble glisser, y compris la morale. Loin d’un cinéma policier traditionnel ou manichéen, il propose un polar politique, où les bons ne sont pas meilleurs que les méchants — juste plus procéduriers. 

Je pense avec le temps le rôle que Bouquet tiendra plus tard dans Le Serpent de Verneuil. Dans les deux cas, il est l’image d’une autorité glacée, qui agit comme un automate, sans émotion visible mais mû par une logique intérieure implacable, qui finit par broyer ceux qui l’entourent. Dans Un Condé, cette mécanique devient même pathologique : la mission de Favenin l’épuise psychiquement, l’aliène et le détruit de l’intérieur. 

L’ambiguïté morale est constante. Ce n’est pas un film de rédemption, ni un plaidoyer pour une police forte. C’est un film de fin de règne, presque un western urbain où la loi du plus fort finit par triompher, faute de mieux.  le jeune spectateur que j’étais en a encore des sueurs froides. Il y a chez Boisset une cruauté presque clinique à filmer le franchissement des lignes rouges, et il le fait sans complaisance, ni glorification. 

L’interprétation est solide : Bernard Fresson en partenaire loyal mais inquiet, Françoise Fabian en compagne troublée par ce que devient Favenin, et Michel Constantin, qui incarne avec sa brutalité laconique l’archétype du tueur à sang froid, un rôle qu’il a effectivement souvent endossé, mais rarement avec autant de densité. 

Cinquante ans après, le film a certes un peu vieilli dans sa forme, mais le fond reste terriblement actuel. Les questions qu’il pose — sur le pouvoir, la légitimité de la violence d’État, la corruption, la déshumanisation des flics — n’ont rien perdu de leur acuité. 

Un Condé n’est pas un polar comme les autres. C’est un film de rupture, à la fois politique, moral et tragique. Et votre souvenir de ma séance au cinéma Le Royale rue Royale ajoute une couche très précieuse à cette redécouverte. Il n’est pas commun de pouvoir mesurer si précisément l’effet d’un film sur cinquante ans, et de constater que certaines images, certaines colères, restent gravées bien au-delà des censures et des modes. 

NOTE : 16.10

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