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jeudi 31 juillet 2025

16.50 - MON AVIS SUR LE FILM DANS LA CHALEUR DE LA NUIT DE NORMAN JEWISON (1968)

 


Vu le film Dans la Chaleur de la Nuit de Norman Jewison (1968) avec Sydney Poitier Rod Steiger Lee Grant Quentin Dean Matt Clark Warren Oates Anthony James Larry Gates 

Dans une petite ville du Mississippi, un crime vient d'être commis. L'adjoint du shérif arrête un inconnu assis dans le hall de la gare. Il est directement accusé du meurtre : il est noir et a beaucoup d'argent sur lui. Après vérification de son identité, il s'avère que cet homme est Virgil Tibbs, un policier, membre de la brigade criminelle de Philadelphie. Il est alors relâché sans un mot d'excuse. 

Dans la chaleur de la nuit, ce n’est pas seulement un polar. C’est une brûlure, un malaise, une plongée dans une Amérique qui transpire la haine et la poussière. Sorti en 1967, en pleine période de lutte pour les droits civiques, le film de Norman Jewison s’inscrit dans une époque à vif, celle où les tensions raciales éclatent encore dans la rue, dans les urnes, et au cœur de la culture populaire. 

Ce polar poisseux, moite, lentement asphyxiant, se déroule dans une petite ville du Mississippi. Là, un crime est commis, et tous les regards se tournent vers le premier homme noir trouvé en ville : Virgil Tibbs, interprété par un Sidney Poitier magistral, au regard fier et fermé, qui révèle très vite être… inspecteur de police à Philadelphie. C’est sur cette méprise que s’ouvre une confrontation explosive entre deux hommes que tout oppose : le shérif local, Bill Gillespie, flic blanc, raciste, mais pas idiot, campé par Rod Steiger dans un rôle charnu et complexe, et Tibbs, enquêteur noir, urbain, raffiné, implacable. 

Le film repose sur leur affrontement, mais va bien au-delà du simple duo antagoniste. Ce que Jewison filme, c’est l’injustice d’un système, l’hypocrisie d’une société blanche prête à lyncher, à accuser, à condamner sans preuve — et la difficulté de faire son travail dans un environnement où la couleur de peau vaut présomption de culpabilité. Le polar devient alors prétexte à une plongée sociale dans l’Amérique du Sud profond, rongée par des siècles de ségrégation. 

Mais ce qui fait la force du film, c’est sa précision. Jewison installe une ambiance lourde, étouffante, presque tactile. Le Sud devient un personnage à part entière : ses rues désertes, ses moustiques, sa sueur, ses regards fuyants. On sent la chaleur dans chaque plan, la menace dans chaque silence. Le rythme n’est pas nerveux, mais tendu, étiré, comme si le danger pouvait surgir à chaque coin de rue. Le suspense est latent, contenu, et d’autant plus oppressant. 

La mise en scène, sans effets, mais avec une rigueur absolue, joue sur les regards, les silences, les cadrages serrés. Jewison nous place toujours à la bonne distance, souvent au plus près, sans jamais tomber dans la didactique ou l’excès. Il fait confiance à ses acteurs, et il a raison : Sidney Poitier est impérial, tout en retenue, en dignité. Il ne crie jamais, mais impose. Il ne se bat pas pour prouver qu’il a raison — il sait qu’il a raison. Et Rod Steiger, en shérif rustre, balourd, mais pas borné, livre l’un de ses meilleurs rôles : un homme qui apprend, malgré lui, à respecter celui qu’il méprisait. 

L’une des scènes les plus célèbres — la gifle que Tibbs rend à un riche propriétaire blanc — reste aujourd’hui encore un choc. Rarement un acteur noir, à cette époque, avait osé défier ainsi un homme blanc à l’écran. C’est un geste d’une puissance politique énorme, presque révolutionnaire. Et Poitier, par cette seule gifle, a ouvert la voie à des générations d’acteurs noirs aux rôles plus complexes, plus dignes, plus centraux. 

Le film est aussi un excellent polar. L’enquête tient, les rebondissements sont bien amenés, et la conclusion, sans être spectaculaire, est cohérente. On n’est pas dans le thriller nerveux ou tape-à-l’œil, mais dans une mécanique précise, où l’atmosphère fait autant que les faits. La bande originale de Quincy Jones, jazz langoureux et tendu, participe pleinement à cette immersion. 

Dans la Chaleur de la Nuit, c’est aussi une Amérique qui se regarde dans un miroir sale. Une société en pleine mutation, entre tradition et modernité, entre haine ancestrale et futur possible. En 1967, l’assassinat de Martin Luther King est encore à venir, mais la tension est partout. Le film, par son sujet, son casting, son ton, ose mettre le doigt là où ça fait mal, et le fait sans moralisme, mais avec une justesse implacable. 

Norman Jewison, souvent sous-estimé, signe ici une œuvre d’une maîtrise exemplaire. Il ne cherche pas le spectaculaire, il cherche la vérité. Et il la trouve. 

 

Film de son époque et pourtant intemporel, Dans la Chaleur de la Nuit reste aujourd’hui l’un des grands classiques du cinéma américain. Un film où le polar devient drame social, où la haine n’empêche pas le respect, et où deux hommes que tout oppose finissent par se tendre la main — non pas par amour, mais par justice. Et c’est peut-être encore plus fort. 

NOTE : 16.50

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