Vu le film Les Evadés de la Planète des Singes de Don Taylor(1971) avec Kim Hunter Roddy McDowall Natalie Trundy Eric Braeden Sal Minéo Bradford Dillman William Windom Ricardo Montalban
Cornélius et Zira parviennent à retourner vers le passé, et débarquent au 20e siècle à Los Angeles. Ils y subissent les mêmes tourments que Taylor sur la planète des singes, et découvrent petit à petit quels événements conduiront à la fin de la civilisation humaine et à la domination simienne
Troisième volet de la célèbre saga initiée par La Planète des singes (1968), Les Évadés de la planète des singes (Escape from the Planet of the Apes) opère un retournement narratif audacieux : après deux épisodes se déroulant dans un futur dystopique dominé par les singes, le film inverse le regard et propulse ses protagonistes simiens dans le passé, autrement dit dans notre présent… ou plutôt dans l’Amérique des années 1970. Cette inversion temporelle permet non seulement de renouveler le concept de la série, mais surtout d’approfondir le message politique et moral de la saga, en questionnant frontalement les notions de peur de l’autre, de préjugés, et de responsabilité historique.
Par une pirouette scénaristique habile, Zira, Cornelius et un troisième singe, le docteur Milo, ont survécu à la destruction de la planète et remonté le cours du temps grâce à la technologie humaine récupérée dans le vaisseau spatial de Taylor. Ils atterrissent à Los Angeles, en pleine époque contemporaine. L’effet de miroir est immédiat : désormais ce sont les singes qui sont l’élément étranger, l’anomalie biologique, les “autres”. Et si l’accueil de la société humaine semble d’abord bienveillant, la suspicion monte vite, notamment chez le docteur Hasslein, conseiller scientifique du président, qui soupçonne que ces visiteurs détiennent des informations capitales sur l’avenir de l’humanité.
Le film mêle adroitement satire sociale et suspense paranoïaque. Il commence dans une tonalité presque comique : les singes découvrent le monde des hommes avec une candeur touchante, Zira s’attire les faveurs du public, ils deviennent des célébrités. Mais rapidement, le ton s’assombrit. Interrogés sur le futur, Zira et Cornelius révèlent, malgré eux, que l’homme est condamné à s’autodétruire, et que les singes, longtemps opprimés, prendront le pouvoir. À partir de là, Hasslein prend peur. Il incarne cette idée terrible : pour éviter que l’humanité ne disparaisse, faut-il éradiquer la menace à sa racine ? Et si cela signifie tuer un enfant à naître, encore innocent, est-ce moralement justifiable ? C’est là que Les Évadés de la planète des singes rejoint les réflexions les plus sombres sur le voyage dans le temps, posant la même question troublante que des films comme Terminator ou la fameuse énigme du "bébé Hitler".
Ce basculement du comique au tragique est d’une efficacité remarquable. Le scénario, signé Paul Dehn, distille une tension croissante, jusqu’à un final bouleversant dans lequel Cornelius et Zira, traqués comme des bêtes, se sacrifient pour sauver leur bébé. Un sacrifice d’autant plus poignant qu’il est filmé dans une quasi-banlieue, loin des temples et ruines du futur, dans un décor réaliste qui accentue la violence de l’issue. Mais dans un dernier rebondissement, le bébé simiesque, habilement échangé à la naissance, est sauf. Il ouvre la porte à la suite de la saga et, surtout, à une boucle temporelle vertigineuse : c’est ce bébé, César, qui deviendra le futur leader de la révolte des singes dans La Conquête de la planète des singes.
Don Taylor, modeste artisan du cinéma hollywoodien, signe ici l’un des meilleurs films de la saga. Moins spectaculaire que ses prédécesseurs, plus resserré dans son dispositif (beaucoup de scènes en intérieur, peu d’action), il compense par une grande acuité narrative. La satire de la société américaine est subtile, notamment dans le traitement des médias, de la politique, de la peur de l’altérité. Le personnage de Hasslein n’est pas un méchant caricatural : c’est un homme animé d’un devoir scientifique, tiraillé entre logique froide et dilemme moral. Il incarne la peur existentielle de l’humanité devant sa propre fin.
Roddy McDowall et Kim Hunter reprennent avec brio leurs rôles de Cornelius et Zira. Ils apportent une humanité rare à leurs personnages simiens, à travers leur amour, leur fragilité, leur courage. Leur relation devient le véritable cœur émotionnel du film. Ce n’est plus la science-fiction qui nous retient, mais le destin tragique de deux êtres différents, trop humains dans leur sensibilité pour être épargnés par notre monde.
Dans l’ensemble de la saga, Les Évadés de la planète des singes fait office de pivot central. Il fait le lien entre la vision apocalyptique des deux premiers films et la naissance du mythe à venir dans les deux suivants. Il est à la fois un point de bascule et un commentaire critique sur tout ce qui précède. Il interroge le déterminisme historique : les hommes peuvent-ils éviter leur propre déclin ? Ou la peur, l’intolérance, le refus de l’autre les condamnent-ils à une boucle temporelle dont ils ne sortiront jamais ?
Les Évadés de la planète des singes dépasse largement son statut de simple suite. C’est un film intelligent, émouvant, aux ramifications philosophiques et politiques puissantes. Il prouve que même dans une franchise à succès, on peut faire du cinéma engagé, exigeant, et profondément humain – même lorsqu’il est joué par des singes.
NOTE : 16.30
FICHE TECHNIQUE
- Réalisation : Don Taylor
- Scénario : Paul Dehn, d'après les personnages et l'univers créés par Pierre Boulle
- Musique : Jerry Goldsmith
- Direction artistique : William Creber et Jack Martin Smith
- Décors : Stuart A. Reiss et Walter M. Scott
- Costumes : Morton Haack
- Photographie : Joseph F. Biroc
- Son : Theodore Soderberg et Dean Vernon
- Montage : Marion Rothman
- Production : Arthur P. Jacobs
- Production associée : Frank Capra Jr.
- Sociétés de production : APJAC Productions, présenté par 20th Century Fox
- Sociétés de distribution : 20th Century Fox
- Budget : 2,5 millions de $
- Roddy McDowall : Cornelius
- Kim Hunter : Zira
- Bradford Dillman : Dr Lewis Dixon
- Natalie Trundy : Dr Stephanie Branton
- Eric Braeden : Dr Otto Hasslein
- William Windom : le Président
- Sal Mineo : Milo
- Albert Salmi : E-1[Note 1]
- Jason Evers : E-2[Note 1]
- John Randolph : le président du comité
- Harry Lauter : le général Winthrop
- M. Emmet Walsh : l'aide de camp
- Roy E. Glenn Sr. : l'avocat
- Peter Forster : le cardinal
- James Bacon : le général Faulkner
- Ricardo Montalbán : Armando

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