Vu le film L’Assassinat du Père Noel de Christian Jaque (1941) avec Harry Baur Fernand Ledoux Renée Faure Robert Le Vigan Marie Hélène Copeaux Jean Parèdès Raymond Rouleau Michel François Marcel Pérès
Comme chaque année, le père Cornusse fabricant de jouets et père d'une jeune fille, Catherine, revêt l'habit du Père Noël. Au cours de la messe de minuit, le trésor du village, un diamant, est volé dans la crèche et le Père Noël est retrouvé mort. Qui a tué le Père Noël ? Le jeune baron, amoureux de Catherine ? Mais le Père Noël est-il bien mort ?
Premier film produit par la Continental, L’Assassinat du Père Noël s’inscrit à la fois dans une tradition française du conte noir et dans la veine poétique chère à Pierre Véry, dont il adapte le roman. Christian-Jaque, cinéaste à la fois populaire et stylisé, trouve ici l’un de ses meilleurs terrains de jeu : un village reculé de Savoie, isolé sous la neige, habité par des figures énigmatiques et un parfum d’étrangeté douce. Le titre annonce une énigme policière, mais c’est bien plus que cela : c’est un conte d’hiver doublé d’une méditation sur la perte des illusions, la candeur des enfants et les ombres qui hantent les adultes.
L’intrigue mêle les genres avec une fluidité remarquable : un faux Père Noël (le vieux Cornusse, fabricant de globes terrestres), un enfant malade qui attend ses cadeaux, une communauté villageoise pétrie de croyances, un château où se terre un comte mélancolique et défiguré (Raymond Rouleau), un vol de diamant, une mort mystérieuse... Dès les premières scènes, le film nous plonge dans un univers où le merveilleux côtoie le soupçon, où les adultes semblent porteurs d’un passé trouble, et où seuls les enfants maintiennent vivante une forme de foi naïve en la magie de Noël.
Christian-Jaque sait filmer la neige comme un décor de théâtre figé, mais aussi comme un piège ouatée où les secrets se dissimulent. Le village devient un microcosme traversé par la suspicion, où chacun pourrait être le coupable. Et pourtant, derrière cette noirceur de façade, on sent l’attachement du cinéaste à ses personnages. Il ne les juge pas : il les accompagne dans leurs douleurs et leurs illusions perdues.
Harry Baur est bouleversant dans le rôle du Père Cornusse, figure à la fois ridicule et sublime. Déguisé en Père Noël, il veut faire croire à sa fille et aux enfants du village que la magie opère encore, tout en cachant ses propres désillusions. La scène où il se rend chez un petit garçon alité pour lui offrir une mappemonde — symbole d’un monde encore à rêver — est d’une intensité rare. À elle seule, elle résume tout ce que le film veut dire : que la croyance, même fragile, peut être plus forte que la vérité.
Comme dans Les Disparus de Saint-Agil, l’enfant est ici au centre du regard, non comme un spectateur passif, mais comme celui qui perçoit ce que les adultes ont oublié : le besoin de croire, la peur du mensonge, la force de l’imaginaire. Le petit malade qui ne comprend pas pourquoi le Père Noël n’est pas venu, pendant que dehors le village s’interroge sur un meurtre, incarne ce double niveau du récit : réalisme et fable, mystère et poésie, polar et mythe.
Le contexte de tournage, en pleine Occupation allemande, n’est pas anodin. Le film n’est jamais politique au sens strict, mais il porte, en filigrane, un regard inquiet sur un monde clos, étouffé, replié sur ses superstitions. La neige recouvre tout, y compris les vérités gênantes. On y devine la métaphore d’une France à l’arrêt, figée dans une attente désespérée. Mais Christian-Jaque, sans cynisme, fait du conte une échappée, un refuge. Loin de tout misérabilisme, L’Assassinat du Père Noël reste lumineux, dans son refus de désenchanter complètement.
Le film s’appuie aussi sur un second cercle de personnages hauts en couleur — la mère Michel, la châtelaine inquiète, le pharmacien jaloux — qui rappellent les archétypes des contes villageois, mais avec une touche d’ambiguïté. Le mélange entre folklore local et tension criminelle fonctionne à merveille. Ce n’est pas un vrai whodunit, mais plutôt une fable où le « coupable » importe moins que la perte d’innocence.
L’Assassinat du Père Noël est une œuvre précieuse, à la fois sombre et réconfortante. Elle s’inscrit dans une tradition française du mystère rural et poétique, où les enfants portent l’espoir et les adultes les fantômes. Entre poésie, suspense et mélancolie, Christian-Jaque réussit un petit miracle : faire croire à Noël au cœur d’une période tragique, sans jamais sombrer dans le sentimentalisme. Un film rare, à (re)découvrir comme on ouvrirait un vieux livre d’images un soir d’hiver.
NOTE : 13.90
FICHE TECHNIQUE
- Réalisation : Christian-Jaque
- Scénario : Pierre Véry et Charles Spaak, d'après le roman éponyme de Pierre Véry
- Photographie : Armand Thirard
- Montage : René Le Hénaff
- Musique : Henry Verdun
- Décors : Guy de Gastyne
- Producteur : Alfred Greven
- Société de production : Continental-Films
- Société de distribution : Films Sonores Tobis
- Harry Baur : le père Cornusse
- Raymond Rouleau : le baron Roland
- Renée Faure : Catherine
- Marie-Hélène Dasté : la mère Michel
- Robert Le Vigan : Léon Villard
- Fernand Ledoux : le maire
- Jean Brochard : le pharmacien
- Jean Parédès : Kappel, le sacristain
- Héléna Manson : Marie Coquillot
- Arthur Devère : Tairraz, l'horloger
- Marcel Pérès : Rambert
- Georges Chamarat : le garde-champêtre
- Bernard Blier : le brigadier de gendarmerie
- Jean Sinoël : Noblet
- Bernard Daydé : Christian
- Jean-Marie Boyer : un enfant
- Jean Buquet : un enfant
- Lucien Coëdel : Desfosses
- Mona Dol : Madame Tairraz, la femme de l'horloger
- Danielle Dorléac : la petite fille dans la boutique
- Michel François : Pierre
- Anthony Gildès : Gruissan
- Bernard Gorce : un enfant
- Georges Mauloy : le curé
- Marcelle Monthil : Madame Rambert
- Marcelle Rexiane : une mère

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