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samedi 22 février 2025

17.10 - MON AVIS SUR LE FILM THE BRUTALIST DE BRADY CORBET (2025)

 

Vu le film The Brutalist de Brady Corbet (2025) avec Adrien Brody Félicity Jones Guy Pearce Joe Alwyn Raffey Cassidy Emma Laird Stacy Martin Ariane Labed Emma Laird Isaach de BankoléAllessandro Nivola Jonathan Hyde Peter Polycarpou Michael Yep

László Tóth, survivant juif hongrois de l'Holocauste, séparé de force de sa femme et de sa nièce orpheline après avoir été envoyé au camp de concentration de Buchenwald, émigre aux États-Unis. Alors que son navire entre dans le port de New York, il aperçoit la Statue de la Liberté. Architecte formé au Bauhaus, László se rend en bus à Philadelphie, où il reste avec son cousin Attila et l'épouse catholique de celui-ci, Audrey, pendant qu'il cherche du travail. Tout juste arrivé, Attila accueille László en lui révèlant que sa femme Erzsébet et sa nièce Zsófia sont toujours en vie, mais coincées en Europe en raison de la mauvaise santé d'Erzsébet.

Qui aurait cru que Brady Corbet, ce jeune acteur timide rencontré à Deauville en claquettes, révélé dans Mysterious Skin, allait signer à 37 ans l’un des films les plus marquants de ce siècle ? Avec The Brutalist, Corbet livre une fresque magistrale sur l'Amérique, une terre de rêves et de désillusions, vue à travers les yeux de László Tóth, un architecte hongrois rescapé des camps de concentration. Dès l'ouverture sombre dans les ruines des camps jusqu'à la traversée de l'Atlantique, où l'horizon dévoile enfin la lumière et la Statue de la Liberté, le film capte l'essence de l'exil, de l'espoir et du choc des cultures.

Corbet n’offre pas un biopic ni un récit linéaire. Il nous entraîne dans une réflexion sur l'identité, le pouvoir et le racisme, en racontant l'histoire de cet homme qui tente de bâtir son rêve dans un pays qui se révèle moins accueillant qu'il ne l'espérait. À l'instar de Sergio Leone dans Il était une fois en Amérique ou d'Orson Welles dans Citizen Kane, Corbet explore l’ambiguïté du rêve américain. Mais ici, pas d'esbroufe. Le film est plus proche de la sobriété émotionnelle de Thomas Vinterberg ou de la satire sociale de Ruben Östlund.

La métaphore du béton est puissante : le brutalisme, d'où le titre du film, est un style d'architecture connu pour ses formes imposantes et son béton nu. Ce matériau brut, envahissant les villes modernes, devient le symbole de l'ambition de László, de sa lutte pour se faire une place dans un monde qui le rejette pour son statut de migrant et sa foi. On assiste à la création de ses constructions monumentales, œuvres d'art froides et imposantes, reflets de son isolement intérieur. Ce n’est pas un hasard si l'épilogue montre László, physiquement et intellectuellement détruit, contemplant son apogée lors d'une exposition qui lui est consacrée. Cette scène, d'une intensité émotionnelle rare, est un miroir brisé du rêve américain, révélant les plaies béantes de l'époque : racisme, xénophobie et exploitation capitaliste.

La musique de Daniel Blumberg sublime l'ensemble, oscillant entre mélancolie et espoir. Le début du film, où les notes dissonantes accompagnent les images fantomatiques des camps, est une extase cinématographique. Le travail sur le son est tout aussi remarquable : chaque réverbération, chaque silence est lourd de sens, amplifiant le poids de l'Histoire qui pèse sur László. La photographie, avec ses jeux d'ombres et de lumière, évoque l'expressionnisme allemand, tout en captant la froideur des architectures brutalistes.

Les acteurs livrent des performances inoubliables. Adrien Brody, habité par le rôle de László, transcende l’écran avec une intensité et une vulnérabilité qui lui promettent un Oscar. Felicity Jones incarne Erzsébet avec une grâce douloureuse, donnant corps à la douleur de l'exil et au sacrifice silencieux. Guy Pearce, en mécène manipulateur, fascine par son ambivalence, reflétant le double visage du capitalisme américain. Quant aux seconds rôles, chacun trouve sa place avec une justesse rare, enrichissant cet univers complexe et nuancé.

Corbet maîtrise à la perfection le rythme de son récit. Malgré les quatre heures de projection – entrecoupées d'un entracte que l’on pourrait juger superflu – l'histoire reste fluide, captivante. On ne s’ennuie jamais, tant la mise en scène est limpide et la narration fluide. Chaque scène apporte son lot de révélations, de tensions ou de poésie visuelle. Les moments marquants sont nombreux : de la confrontation dans le gratte-ciel en construction à la scène finale dans cet espace monumental où les échos de voix trahissent la distance émotionnelle entre László et le monde qui l'entoure.

En choisissant de raconter l'Amérique à travers les yeux d'un migrant hongrois, Corbet montre une Amérique en mouvement, bâtie par des hommes et des femmes déracinés. Mais cette terre promise révèle aussi ses failles : racisme envers les Noirs et les Juifs, pauvreté, exploitation des migrants. Si l'Amérique est un rêve, elle est aussi un cauchemar pour ceux qui doivent se battre pour être acceptés. En cela, The Brutalist résonne douloureusement avec notre époque, où les questions d'immigration et d'identité nationale restent brûlantes.

The Brutalist n’est pas un film facile. C’est une œuvre exigeante, qui ne cherche pas à flatter son spectateur, mais à le confronter à la réalité brutale d'un monde complexe et cruel. Corbet utilise le béton comme métaphore du poids de l'Histoire, de la mémoire et de l’identité. Avec une mise en scène sans fioritures, il livre un cinéma puissant, brut et émouvant.

Quatre scènes marquent parmi d’autres le film ,  La scène d'ouverture, dans les ruines d'un camp de concentration, où László contemple des vestiges architecturaux tout en esquissant mentalement des plans, établissant d'emblée le lien entre mémoire et création.

 Le dialogue tendu entre László et son mécène dans un gratte-ciel en construction. La froideur du béton brut sert de toile de fond à un échange corrosif sur la valeur de l'art dans un monde capitaliste.

  Le montage elliptique montrant la construction de son chef-d'œuvre architectural, avec des plans rapprochés sur les mains des ouvriers, le béton coulant, les structures montant vers le ciel, le tout synchronisé avec une composition musicale en crescendo.

  La confrontation finale dans un espace vide et monumental, où l'écho des voix révèle la distance émotionnelle creusée par les compromis de László, aboutissant à un dénouement à la fois intime et universel.

En refusant le spectaculaire et en s'appuyant sur une narration dense et une esthétique maîtrisée, Corbet signe un film profondément humain, empreint d'une mélancolie déchirante. Ce n’est pas un Citizen Kane, mais une œuvre qui se rapproche des grands récits sur l'Amérique désenchantée. The Brutalist est une fresque intemporelle, un chef-d'œuvre qui marquera durablement l'histoire du cinéma.

NOTE : 17.10

FICHE TECHNIQUE


DISTRIBUTION

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