Vu le film La Guerre est Finie de Alain Resnais (1966) avec Yves Montand Geneviève Bujold Ingrid Thulin Jean Dasté Gérard Lartigau Yvette Etiévant Antoine Vittez Michel Piccoli
Membre du parti communiste espagnol, Diego vit en France depuis l'arrivée au pouvoir de Franco. De retour de mission de l'autre côté des Pyrénées, il est désormais sceptique quant aux chances de succès des formes traditionnelles de lutte. Les membres du parti auxquels il expose ses doutes lui demandent de s'éloigner pour un temps. Par le biais de sa maîtresse, Diego rencontre de jeunes Espagnols qui ont choisi le terrorisme comme moyen de lutte.
Film fascinant et frustrant à parts égales, La Guerre est finie est un objet filmique hybride, dont l’empreinte vous glisse entre les doigts au moment même où vous tentez de la saisir. Ce n’est pas tant une œuvre incompréhensible qu’une œuvre qui échappe à l’emprise, comme si elle se refusait à être pleinement regardée, et surtout interprétée à l’aune des outils traditionnels de la dramaturgie ou de l’analyse politique. Ce refus est aussi, paradoxalement, ce qui fait sa singularité.
Le film suit Diego Mora (Yves Montand), un militant communiste espagnol en exil, opérant depuis Paris pour faire tomber le franquisme. Mais la lassitude, les méthodes obsolètes de son mouvement, la jeunesse qu’il voit poindre dans d’autres figures révolutionnaires, et la vacuité d’un combat figé dans ses dogmes le rongent peu à peu. Une tension narrative existe bel et bien : celle d’un homme traqué, usé, tenté par l’abandon mais pris dans un système de loyauté. Mais elle est sans cesse court-circuitée, dissoute, étirée par une mise en scène qui privilégie la perception intérieure au déroulé des faits.
C’est dans cette tension – entre une intrigue relativement limpide et une forme volontairement brumeuse – que réside l’inconfort. La première moitié du film, notamment, est traversée de fulgurances visuelles : ellipses abruptes, fondus énigmatiques, inserts mentaux, ruptures de ton, jeux de surimpression entre passé et présent. La voix-off, parfois en rupture avec l’image, accentue cette impression de subjectivité flottante : parle-t-elle pour Diego, contre lui, en lui, ou est-elle la voix d’un monde déjà perdu ? Le temps devient incertain, la géographie floue, les scènes s’enchaînent comme des souvenirs désordonnés. C’est là que Resnais atteint la justesse de son ambition : traduire l’état psychique d’un militant à bout de souffle, pour qui la réalité ne se distingue plus des projections, ni les idéaux des souvenirs.
Mais le film ne persiste pas dans cette voie sensorielle et mentale. Passé un certain seuil, l’intrigue reprend ses droits, et La Guerre est finie redevient un film politique « à message », avec ses rendez-vous secrets, ses tracts, ses arrestations. La rigueur narrative reprend le dessus, au détriment de l’abstraction initiale. Ce retour au réalisme casse l’élan, comme si le film hésitait à se libérer totalement des conventions pour aller au bout de son geste poétique. En cela, il reste, oui, déséquilibré – comme le personnage principal, figé entre deux mondes : celui de la lutte révolutionnaire théorique et celui, informe, d’une existence éclatée.
Le jeu d’Yves Montand participe à cette ambivalence. Pour peu qu’on n’adhère pas à son style, sa raideur peut accentuer l’impression d’un personnage en décalage avec son époque, voire son propre corps. Montand joue Diego comme un homme déjà mort, qui s’agite mécaniquement par réflexe politique. Ce n’est pas un contre-sens, mais c’est un choix risqué. En face de lui, les figures féminines – Geneviève Bujold en jeune militante exaltée, Ingrid Thulin en compagne mélancolique – apparaissent plus vivantes, filmées avec une sensualité qui tranche avec la sécheresse des dialogues politiques. Chez Resnais, comme souvent, ce sont les femmes qui incarnent l’avenir, la mémoire du désir, ou la rupture possible avec la ligne rigide du passé.
Le film se termine comme il a commencé : sans résolution, sans chute, sans conversion. L’action politique, vidée de sa substance, se dissout dans l’abstraction d’un monde moderne qui l’a dépassée. Le message est amer : la guerre n’est pas finie, mais elle se poursuit comme une illusion, une survivance. À moins qu’elle ne soit terminée justement parce qu’elle ne fait plus sens.
La Guerre est finie est donc une œuvre divisée, entre la clarté d’une histoire de militant usé et l’opacité d’un film mental sur la perte de foi. Ce n’est pas un film militant, ni un pamphlet, ni même une méditation dialectique à la Godard, dont il refuse les poses théoriques. C’est plutôt une errance intérieure, souvent magnifiquement filmée, mais parfois avare d’émotion. Il aurait fallu que Resnais lâche complètement prise avec la trame, qu’il abandonne la logique politique pour plonger définitivement dans les limbes de la mémoire, du doute, du désir. Lorsqu’il le fait, le film est somptueux. Lorsqu’il revient sur terre, il retombe dans une platitude narrative qui ne semble intéresser ni le cinéaste, ni le spectateur.
C’est un film important, mais pas nécessairement réussi. C’est un film brillant, mais pas captivant. Et c’est peut-être pour cela qu’il continue de vous échapper.
NOTE : 8.50
FICHE TECHNIQUE
- Réalisation : Alain Resnais, assisté de Florence Malraux et Jean Léon
- Scénario et dialogues : Jorge Semprún
- Photo : Sacha Vierny
- Son : Antoine Bonfanti
- Caméra : Philippe Brun
- Décors : Jacques Saulnier
- Maquillage : Alexandre Marcus et Éliane Marcus
- Ensemblier : Charles Mérangel
- Musique : Giovanni Fusco
- Montage : Éric Pluet et Ziva Postec
- Script-girl : Sylvette Baudrot
- Chef-machiniste : René Pequignot
- Chef électricien : Yves Laurent
- Photographe de plateau : Nicole Lala
- Régie : Jean Pieuchot et Louis Lliberia
- Coproduction Franco-suédoise
France
Suède - Directeur de production : Alain Queffelean
- Yves Montand : Diego Mora
- Ingrid Thulin : Marianne
- Jean Dasté : responsable
- Geneviève Bujold : Nadine Sallanches
- Jean Bouise : Ramon
- Paul Crauchet : Roberto
- Dominique Rozan : Jude
- Anouk Ferjac : Marie Jude
- Bernard Fresson : André Sarlat
- Yvette Étiévant : Yvette
- Michel Piccoli : inspecteur des douanes
- Gérard Séty : Bill
- Jacques Rispal : Manolo
- Annie Fargue : Agnès
- Catherine De Seyne : Jeanine
- José-Maria Flotats : Miguel
- Jean-François Rémi : Juan
- Roland Monod : Antoine
- Marcel Cuvelier : inspecteur Chardin
- Gérard Lartigau : chef du groupe AR
- Marie Mergey : Mme Lopez
- Françoise Bertin : Carmen
- Laurence Badie : Bernadette Pluvier
- Antoine Bourseiller : homme du wagon-restaurant
- Claire Duhamel : femme du wagon-restaurant
- Martine Vatel : étudiante
- Antoine Vitez : employé Air France
- Jacques Wallet : CRS
- Pierre Decazes : employé SNCF
- Pierre Leproux : homme en blouse blanche
- R. J. Chauffard : ivrogne (sous le nom de "R.J. Chauffar")
- Jean Bolo : agent de police
- Pierre Barbaud : client du café
- Jean Laroquette : étudiant
- Roger Pelletier : inspecteur des douanes
- Jacques Rolnard : Pierrot
- Fylgia Zadig : hôte réunion clandestine
- Sissi Kaisser : militante espagnole
- Laure Paillette : vieille dame dans l'escalier.
- Jorge Semprún : voix (non crédité)
- Lyne Chardonnet : jolie fille blonde (non créditée)
- Jean-Pierre Kérien : Chardin

Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire