Vu le film Piranhas de Joe Dante (1978) avec Bradford Dillman Heather Menzies Kevin McCarthy Keenan Wynn Dick Miller Barbara Steele Belinda Balaski Melody Thomas Scott Bruce Gordon Paul Bartel
Un couple de randonneurs pénètre par effraction dans un ancien domaine de l'armée qui semble abandonné. Ils découvrent une piscine, et la jeune femme convainc son compagnon de prendre un bain. Ils sont tous deux dévorés par des piranhas. Une jeune femme part à la recherche des deux disparus. Elle se fait aider par un homme qui vit dans la vallée en solitaire, séparé de sa femme et alcoolique
Un Petit poisson , un petit poisson qui a du mordant
Il y a du sang, de la rigolade, de la panique et surtout… des piranhas. Le tout mijoté dans un bain bouillonnant de satire et de débrouille fauchée. Premier vrai long-métrage de Joe Dante, Piranhas (Piranha en VO), produit par le redoutable Roger Corman, est une œuvre charnière dans le cinéma d’horreur américain des années 70 : entre parodie mordante et manifeste anti-militariste, ce film devient rapidement culte, non pas en dépit de ses limites, mais grâce à elles.
L’histoire est simple mais diablement efficace : dans une base militaire abandonnée, un couple d’intrépides (interprétés par Bradford Dillman et Heather Menzies) libèrent par accident une colonie de piranhas génétiquement modifiés, vestiges d’un programme militaire secret durant la guerre du Vietnam. Les poissons carnassiers, affamés et adaptables, s’engouffrent dans la rivière, semant la mort dans les campings, les colonies de vacances, et jusqu’à une station balnéaire. L’Amérique profonde devient alors le théâtre d’un carnage aquatique.
Un petit poisson, un petit poisson… qui a du mordant. Car Piranhas ne fait pas dans la dentelle. Dès ses premières scènes, Joe Dante annonce la couleur : ce sera méchant, ironique, et parfois cruel. Les créatures ne font pas de distinction : enfants, militaires, touristes, nageurs du dimanche – tout ce qui flotte est viande. La séquence dans la colonie de vacances, où les enfants sont attaqués, a fait frémir plus d’un spectateur. C’est rare, encore aujourd’hui, de voir un film de série B oser ce que beaucoup de films dits sérieux n’osent pas : rendre tout le monde vulnérable. Dante, avec ce sens du mauvais goût assumé, s’inscrit dès lors dans la lignée des réalisateurs qui font du cinéma de genre une manière de pointer les travers de la société.
Car Piranhas, sous son apparence de série Z joyeusement gore, cache une critique acerbe : des militaires irresponsables, des industriels véreux, des adultes incompétents, des enfants livrés à eux-mêmes… Dante tire sur tout ce qui bouge, ou plutôt tout ce qui flotte. L’eau devient ici symbole d’un monde insaisissable et dangereux, où l’humain, aveuglé par ses ambitions guerrières, relâche littéralement ses monstres.
Techniquement, oui, le film a vieilli. Les effets spéciaux, basés sur des maquettes de poissons animés en surimpression, provoquent aujourd’hui plus le sourire que la peur. Mais c’est aussi ce qui fait son charme : Piranhas est un film artisanal, inventif malgré ses limites budgétaires. Joe Dante, encore inconnu, y révèle un sens du montage et un goût pour la mise en scène nerveuse qui ne demandent qu’à exploser. On y voit les prémices de son style futur, celui de Gremlins ou de The Howling : mélange d’horreur et de comédie, fascination pour la culture pop, goût du chaos, et surtout, une tendresse certaine pour ses monstres.
Le film est aussi émaillé de références, assumées ou parodiques. Il sort d’ailleurs au moment où Les Dents de la mer de Spielberg a révolutionné le film d’attaque animale. Dante, loin de copier servilement, en donne une version plus fauchée, plus punk, plus satirique. Là où Spielberg joue sur la tension et le suspense, Dante fait jaillir le sang et la dérision. Et paradoxalement, cela fonctionne. Le film est rapide, sans temps mort, et malgré quelques longueurs, on reste captivé par cette virée fluviale au cœur de l’absurde.
Dans ce maelström poisseux, Joe Dante ne cherche pas à faire le film parfait, mais le film le plus drôle et le plus grinçant possible. On y croise Kevin McCarthy (déjà légende du Body Snatchers) en savant fou, des militaires lobotomisés, et même quelques scènes de stop-motion jamais finalisées – mais qui donnent au film un charme rétro indiscutable.
Alors oui, Piranhas est un film trash, sanglant, parfois maladroit, mais souvent jouissif. Il incarne cette veine du cinéma américain des 70s qui faisait du gore une forme de libération, un pied de nez à l’ordre établi. Dante, sans jamais mépriser ses créatures ni ses spectateurs, signe un coup d’essai aussi mordant que prometteur.
On retiendra que dans cette rivière infestée de dents affûtées, un certain Joe Dante a plongé le premier – et qu’il n’en est jamais vraiment ressorti.
NOTE : 7.90
FICHE TECHNIQUE
- Réalisation : Joe Dante
- Assistants réalisateurs : Charles Eglee et Greg Gears
- Scénario : John Sayles, d'après une histoire de John Sayles et Richard Robinson
- Musique : Pino Donaggio
- Photographie : Jamie Anderson
- Décors : Jeff Ayers
- Direction artistique : Bill Mellin et Kerry Mellin
- Montage : Joe Dante et Mark Goldblatt
- Production : Jon Davison
- Coproduction : Chako van Leeuwen
- Producteurs délégués : Roger Corman et Jeff Schechtman
- Société de production : New World Pictures
- Distribution : New World Pictures (États-Unis), United Artists (France)
- Budget : 600 000 dollars
- Bradford Dillman (VF : Serge Lhorca) : Paul Grogan
- Heather Menzies (VF : Sylvie Feit) : Maggie McKeown (McGowan en VF)
- Kevin McCarthy (VF : Marc Cassot) : Dr Robert Hoak
- Keenan Wynn (VF : Jean-Jacques Steen) : Jack
- Dick Miller (VF : Francis Lax) : Buck Gardner
- Barbara Steele (VF : Sylvie Moreau) : Dr Mengers
- Belinda Balaski (VF : Catherine Lafond) : Betsy
- Melody Thomas Scott (VF : Sylviane Margollé) : Laura Dickinson
- Bruce Gordon (VF : Michel Beaune) : le colonel Waxman
- Paul Bartel (VF : Philippe Dumat) : M. Dumont
- Shannon Collins (VF : Séverine Morisot) : Suzie Grogan
- Shawn C. Nelson (VF : Claude Mercutio) : Whitney
- Barry Brown : le shérif
- Richard Deacon : Earl Lyon
- Janie Squire (VF : Catherine Lafond) : Barbara Randolph
- Roger Richman (VF : William Coryn) : Da

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