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jeudi 3 juillet 2025

16.90 - MON AVIS SUR LE FILM LES DENTS DE LA MER DE STEVEN SPIELBERG (1975)


 Vu le film Les Dents de la Mer de Steven Spielberg (1975) avec Richard Dreyfus Roy Scheider Robert Shaw Lorraine Gary Susan Blacklinie Murray Hamilton Jay Mello Chris Rebello 

À quelques jours du début de la saison estivale, les habitants de la petite station balnéaire d'Amity sont en émoi face à la découverte, sur le littoral, du corps atrocement mutilé d'une jeune vacancière. Pour Martin Brody, le chef de la police, il ne fait aucun doute que la jeune fille a été victime d'un requin. Il décide alors d'interdire l'accès des plages mais se heurte à l'hostilité du maire, uniquement intéressé par l'afflux des touristes. 

Une morsure dans l’Histoire du cinéma 

Quand Les Dents de la Mer sort sur les écrans américains en juin 1975, c’est bien plus qu’un simple film à suspense que le public découvre. C’est une onde de choc, un raz-de-marée émotionnel, esthétique et commercial. Pour beaucoup de spectateurs, il s'agit de leur premier vrai traumatisme de cinéma, et pour le monde, la révélation d’un jeune réalisateur de 28 ans au talent fou : Steven Spielberg. Rien ne sera plus jamais comme avant. Le blockbuster de l’été est né, et avec lui, le règne du "GOAT" Spielberg commence. 

Inspiré du roman de Peter Benchley, le film raconte une histoire simple : sur l’île fictive d’Amity, un gigantesque requin blanc attaque les baigneurs. Le chef de la police locale, Martin Brody (Roy Scheider), un océanographe passionné, Matt Hooper (Richard Dreyfuss), et un vieux pêcheur misanthrope, Quint (Robert Shaw), se lancent à sa poursuite. Ce canevas de film de monstre devient sous la houlette de Spielberg un chef-d’œuvre de tension maîtrisée, de construction dramatique millimétrée et d’intelligence cinématographique. 

L’élément le plus souvent cité pour expliquer le génie du film reste son économie de moyens imposée… par les aléas techniques. Le requin mécanique, surnommé « Bruce », tombe constamment en panne. Spielberg transforme ce handicap en force : au lieu de montrer, il suggère. L’aileron qui fend l’eau, la musique répétitive et oppressante de John Williams — deux seules notes, Mi-Fa, comme les battements d’un cœur ou une sentence inéluctable —, le regard affolé de Brody scrutant l’horizon : tout cela installe une peur presque primitive. Le film devient le territoire de l’attente et de l’angoisse, bien plus que de l’horreur frontale. 

John Williams mérite ici une ovation à part. Ce thème musical, réduit à sa plus simple expression, devient l’un des plus célèbres du XXe siècle. Le compositeur avouera s’être inspiré du Sacre du printemps de Stravinski pour la montée rythmique de la tension, mais on évoque aussi la pulsation maritime de La Mer de Debussy ou la gravité guerrière d’Alexandre Nevski de Prokofiev. L’ensemble de la partition module entre terreur et lyrisme, accompagnant les glissements du film entre thriller, film d’aventure et métaphore quasi mythologique. 

Car Les Dents de la Mer est aussi un récit initiatique, une descente aux enfers dans le ventre symbolique de la mer. Le trio formé par Brody, Hooper et Quint incarne trois visages de l’humanité : l’homme moral et inquiet, le scientifique rationnel, et le survivant traumatisé par la guerre (Quint, hanté par le naufrage de l’USS Indianapolis). Ces archétypes s’opposent, se complètent, et finissent par se confronter au monstre dans un final dantesque, où le corps de Quint, dévoré comme un vulgaire maquereau, rappelle combien la nature est impitoyable, et combien l’humanité est petite face à l’abîme. 

La scène finale — où Brody, seul rescapé, fait exploser le requin d’un tir dans une bonbonne d’oxygène — pourrait sembler invraisemblable, mais elle provoque un soulagement jubilatoire. Spielberg l’a bien compris : il faut libérer le spectateur à la fin, lui offrir une victoire symbolique, après l’avoir tourmenté pendant près de deux heures. 

À sa sortie, le film crée la panique : des plages se vident, certains cinémas affichent complet pendant des mois, les cris dans les salles rivalisent avec ceux des acteurs. Des jeunes filles hurlent en se jetant dans les bras de leurs copains ; les enfants n’osent plus aller à la piscine. Le phénomène est planétaire. Jaws devient le film le plus rentable de l’histoire à cette époque, et Spielberg, du jour au lendemain, un nom que l’on craint autant qu’on l’admire à Hollywood. 

Côté interprétation, les trois acteurs sont formidables. Roy Scheider, intense et nerveux, impose une humanité touchante ; Richard Dreyfuss apporte une verve malicieuse et intellectuelle, tandis que Robert Shaw, avec sa voix grave et sa gueule burinée, livre une performance inoubliable. La scène de sa confession sur le naufrage de l’Indianapolis est une leçon de narration dans la narration : un monologue magistral, écrit par Shaw lui-même, qui imprime dans nos esprits une horreur pure, sans une seule image. 

Et que dire de la mise en scène de Spielberg ? Elle est déjà à la hauteur de sa légende future. Mouvements de caméra amples, plongées et contre-plongées symboliques, jeux d’ombres et d'hors-champ, maîtrise des durées et des silences — Les Dents de la Mer est un manuel de suspense digne d’Hitchcock. L’usage de l’objectif déformant pour les vues sous-marines, les travellings compensés (notamment celui sur Brody, au moment de l’attaque du petit garçon sur la plage), sont des trouvailles de génie. 

Aujourd’hui, cinquante ans plus tard, le film n’a rien perdu de son pouvoir de fascination. Il reste une référence, un modèle inégalé de peur construite sans tout montrer, et surtout le point de départ d’une carrière titanesque. Spielberg ne refera jamais exactement un film comme celui-là, mais il y reviendra parfois par touches : le monstre invisible (Jurassic Park), l’enfant face à l’inconnu (E.T.), le traumatisme de la guerre (Il faut sauver le soldat Ryan), l’aventure collective (Indiana Jones). 

Mais Jaws garde une aura particulière : celle d’un coup de tonnerre initial, un cri primal du cinéma moderne, qui surgit des profondeurs pour nous rappeler, encore et toujours, qu’il y a quelque chose d’inconnu sous la surface. Et que c’est précisément là que le cinéma, parfois, mord le plus fort.

NOTE : 16.90

FICHE TECHNIQUE

 


DISTRIBUTION

Acteurs non crédités

 

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