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mercredi 23 juillet 2025

16.20 - MON AVIS SUR LE FILM RIDICULE DE PATRICE LECONTE (1996)

 


Vu le film Ridicule de Patrice Leconte (1996) avec Bernard Giraudeau Jean Rochefort Charles Berling Fanny Ardant Bruno Zanardi Judit Godrèche Bernard Dhéran Albert Delpy Urbain Cancelier 

« Dans ce monde (c'est-à-dire à la cour), un vice n'est rien mais un ridicule tue. » 

En 1780, Grégoire Ponceludon de Malavoy (Charles Berling), jeune aristocrate provincial désargenté et candide, arrive à la Cour de Versailles pour demander au roi Louis XVI les moyens d'assécher les marais de la Dombes, sources d'épidémies qui déciment les familles de ses paysans. 

Il comprend rapidement que pour obtenir une audience, il doit d'abord mener une vie mondaine qui lui permettrait de se faire remarquer. Il participe à cette vie de cour où l'honneur et les mots d'esprit (souvent moqueurs et parfois méchants) sont le centre d'une effervescence raffinée et décadente. 

Leconte est Bon 

Patrice Leconte signe avec Ridicule l’un de ses films les plus fins, les plus aboutis, et peut-être le plus universel. Derrière les perruques poudrées, les redingotes précieuses et les dorures des salons versaillais, se joue un drame humain d’une cruauté affûtée comme une lame. L’intelligence y est arme, l'esprit une monnaie, et l'humiliation une pratique sociale raffinée. 

Le film s’ouvre sur une scène marécageuse en province, où le baron Grégoire Ponceludon de Malavoy (interprété avec une élégance nerveuse par Charles Berling), noble désargenté mais plein d’idéal, tente de sauver les paysans de sa région des fièvres paludéennes. Pour obtenir des subsides, il doit approcher le roi. Mais avant de franchir les portes du pouvoir, il faut franchir celles d’un autre enfer : celui des salons. 

Et là commence une autre maladie, autrement plus ravageuse que celle des marais : celle du verbe utilisé comme poison social. Car à Versailles, on ne vit pas pour faire, on vit pour dire. L’esprit y est un sport de combat. Patrice Leconte y déploie alors tout son art du contrepoint : une mise en scène classique mais précise, des cadres élégants et distanciés, au service d’une violence toute feutrée mais aussi impitoyable qu’un coup de poignard dans le dos. 

Les joutes verbales deviennent des duels en règle. Le ridicule tue symboliquement, mais surtout, il vous efface : être la risée d’un salon, c’est être rayé du monde. Chaque réplique est une arme, chaque silence une chute potentielle. Et dans ce monde-là, l’intelligence seule ne suffit pas : il faut manier la cruauté avec style. 

Leconte orchestre cette comédie dramatique cruelle avec une virtuosité rare, transcendé par un scénario d’une richesse peu commune (signé Rémi Waterhouse, Michel Fessler et Éric Vicaut). Le film, bien qu'ancré dans un XVIIIe siècle de pacotille pour certains, nous parle frontalement d’aujourd’hui. La violence sociale n’a pas disparu, elle a changé de forme. Les salons sont devenus des plateaux télé, des comptes X (Twitter), ou des talk-shows, et le mot qui tue se propage désormais à la vitesse du clic. 

La distribution est magistrale :  Jean Rochefort joue le marquis de Bellegarde, savant éclairé, protecteur de Ponceludon, qui incarne une figure de la noblesse éclairée, à la fois bienveillante, ironique et désabusée. Son élégance distanciée est inimitable. ; Bernard Giraudeau, lui, interprète l’abbé de Vilecourt, manipulateur doucereux, courtisan pur jus, à la fois cruel et pathétique, symbole d’une Église qui a troqué la spiritualité contre le pouvoir. l’abbé est la figure du vice, travesti en vertu, quand le marquis est celle de l’intelligence sincère, teintée d’un humanisme déjà vaincu. Et toute la dynamique du film repose justement sur cette opposition entre les apparences et les intentions, entre l’esprit de salon et l’esprit des Lumières.;  

Judith Godrèche, étonnante de fraîcheur en objet de convoitise et de stratégie matrimoniale ; Fanny Ardant, souveraine en intrigante passionnée. Et Charles Berling, bien sûr, admirable de tension intérieure, figure christique d’un homme droit écrasé par les codes d’un monde où la sincérité est une faute de goût. 

Les costumes et décors, somptueux sans jamais verser dans le clinquant, plantent une Versailles crédible, hiératique, où tout est apparence. L’humour y est acide, jamais potache. Leconte se garde bien d’un pastiche à la Les Visiteurs. Il flirte plutôt avec la satire sociale, comme un Choderlos de Laclos filmé par un cinéaste lucide et désabusé. 

Le titre lui-même est une ironie. Le ridicule n’est pas un simple sujet : il est le mode de fonctionnement de cette société. Il ne tue pas – pas encore – mais il broie, brise, et transforme les êtres en pantins creux. Le plus beau, c’est que le film ne moralise jamais. Il montre, il suggère, il laisse le spectateur frissonner. 

En regardant Ridicule aujourd’hui, difficile de ne pas penser aux réseaux sociaux, à l’obsession du bon mot, à la tyrannie de l’opinion rapide. Leconte, sans avoir voulu prophétiser, a filmé une fable politique et sociale intemporelle, où la quête de dignité se fracasse contre les murs d’une société aveuglée par le paraître. 

Il s’agit d’un film profondément pessimiste sur l’homme, mais d’un très grand moment de cinéma français, élégant, cruel, drôle, bouleversant. Un chef-d’œuvre discret, dont la modernité cinglante résonne toujours. 

NOTE : 16.20

FICHE TECHNIQUE


DISTRIBUTION

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