Vu le film L’Ours de Jean Jacques Annaud (1988) avec Youk , Bart , Tcheky Karyo Jack Wallace André Lacombe
Le film suit un ourson orphelin, qui inconscient et maladroit, est adopté par un ours solitaire. Il fera avec lui l'apprentissage de la vie et du mal, un mal que personnifient deux chasseurs lancés à leurs trousses. L'un de ces chasseurs, Tom, prendra soudainement conscience de la dignité de la vie animale.
Il y a des films qui frappent par leur intensité, d’autres par leur tendresse. L’Ours réunit les deux, et ce n’est pas un hasard si son souffle rappelle autant Le Vieil Homme et la mer que Le Livre de la jungle — sans qu’aucun mot ne soit vraiment nécessaire. Dans cette grande fresque d’aventure tournée entre ciel et cimes, Jean-Jacques Annaud fait le pari insensé de filmer les bêtes comme des êtres vivants à part entière, et les humains comme des ombres parfois menaçantes, parfois attendries. Et le plus fou, c’est qu’il y parvient.
L’histoire, simple mais bouleversante, suit un jeune ourson orphelin — Youk — qui tente de survivre seul après la mort brutale de sa mère, écrasée par un éboulement. Égaré dans un monde trop vaste, il croise bientôt un ours adulte, Kaar, un grizzly aussi imposant que fascinant, traqué par deux chasseurs tenaces. L’un d’eux, Tom (interprété par un Tchéky Karyo tout en intériorité), va bientôt voir ses certitudes s’éroder au contact de la nature et de cette bête qu’il voulait abattre.
Là où bien des films animaliers cèdent au cabotinage animal ou à l’anecdote gentille, L’Ours déploie une dramaturgie quasi-shakespearienne. Youk, le petit brun, devient immédiatement un personnage qu’on aime. Il touche par ses maladresses, ses rêves, ses peurs. Il m’a rappelé un petit ours qui me collait à la peau, un compagnon d’enfance, silencieux mais fidèle — et sans doute bien plus éveillé que certains adultes.
Mais c’est surtout dans l’ambiguïté que le film gagne sa grandeur. On a peur de Kaar, bien sûr, de ses griffes, de son poids, de sa fureur. Et pourtant, cette peur se retourne : on craint pour lui. Pour cet être libre, digne, traqué par l’homme, par la cruauté, par le fusil. Annaud inverse le regard : la menace n’est plus l’animal mais l’homme. Le duel final entre Bart (le grizzly) et Tom devient dès lors un sommet de tension — un duel westernien en pleine nature, dans une clairière désertée, où le silence remplace la musique d’Ennio Morricone, et où chaque souffle d’ours a la force d’un coup de revolver. C’est un face-à-face d’autant plus fort qu’il n’a pas besoin de mots.
La prouesse de Jean-Jacques Annaud tient dans sa patience : il ne “fait pas faire” aux ours ce qu’il veut, il attend qu’ils offrent ce qu’ils sont. Et au lieu de dompter la nature, il l’écoute. Il filme, il observe, il récolte — et il façonne son film en salle de montage, comme un sculpteur taillerait dans le bois brut. Les réactions des ours — et surtout celles du petit Youk — ne sont pas feintes. Elles jaillissent du réel, ce qui donne au film un naturel bouleversant. En cela, L’Ours s’apparente presque à un documentaire… mais un documentaire qui aurait la force dramatique d’un conte tragique et lumineux.
Quant aux paysages, tournés en Colombie-Britannique, ils sont tout simplement époustouflants. Annaud nous emmène au-dessus des nuages, sur des crêtes effilées, au cœur de forêts que la brume transperce comme des souvenirs. Cette nature verticale, souveraine, donne le vertige — le vertige d’une aventure oursienne (oui, inventons le mot, il le mérite), sans équivalent au cinéma.
Dans une époque où tant d’acteurs surjouent, L’Ours réussit le miracle de faire éprouver, de faire craindre, de faire aimer, sans paroles ni artifices. On en sort bouleverser. On se souvient de Kaar, immense et fragile. On veut protéger Youk. Et peut-être, secrètement, on aimerait pouvoir être un peu plus ours.
NOTE : 16.20
FICHE TECHNIQUE
- Réalisation : Jean-Jacques Annaud
- Scénario : Gérard Brach, adapté du livre Le Grizzly de James Oliver Curwood
- Musique : Philippe Sarde, Tchaïkovski.
- Direction artistique : George Dietz, Antony Greengrow, Heidi Lüdi et Hans Jürgen Schmelzle
- Décors : Toni Lüdi
- Costumes : Corinne Jorry et Françoise Disle
- Photographie : Philippe Rousselot
- Son : François Musy, Laurent Quaglio, Claude Villand, Bernard Le Roux
- Montage : Noëlle Boisson
- Production : Claude Berri
- Production associée : Pierre Grunstein
- Sociétés de production[: Renn Productions (France) ; Price (États-Unis)
- Sociétés de distribution : AMLF
- Bart : Kaar, l'ours adulte
- Youk : l'ourson
- Tchéky Karyo : Tom
- Jack Wallace : Bill
- André Lacombe : le chasseur aux chiens

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