Vu le Documentaire les Disparues de Sabrina Van Tessel (2024)
Ce documentaire détaille le cas de Mary Ellen Johnson-Davis, une amérindienne disparue en 2020. Son histoire témoigne de la disparition de centaines de femmes autochtones aux États-Unis, perpétuant ainsi les traumatismes transgénérationnels.
Le documentaire Les Disparues, réalisé par Sabrina Van Tassel, est un cri glaçant et salutaire lancé à la face d’un pays qui refuse de regarder son histoire en face. À partir de la disparition de Mary Ellen Johnson en 2020, dans l’État de Washington, Van Tassel élargit progressivement le cadre jusqu’à mettre au jour une réalité effarante : celle d’un génocide silencieux, contemporain, maquillé sous des couches d’indifférence institutionnelle et de racisme structurel. Le film n’est pas seulement un hommage à une femme oubliée, il est une radiographie implacable de ce que vivent encore aujourd’hui les femmes amérindiennes aux États-Unis.
Ce que révèle ce documentaire, au-delà des chiffres choquants (5 172 disparitions en 2016, un taux de meurtres 10 fois plus élevé que la moyenne), c’est une mécanique d’effacement méthodique d’un peuple. On parle souvent du génocide des peuples premiers au passé, comme si tout cela appartenait à une ère révolue. Or, Les Disparues montre que la violence, le mépris, la négligence des institutions policières et judiciaires ne sont pas des reliques d’un autre temps : ils sont vivants, agissants, et terriblement actuels.
Ce qui frappe, c’est à quel point ces crimes s’enracinent dans une culture coloniale jamais démantelée. La réalisatrice évoque avec une pudeur redoutable mais une colère contenue cette impunité massive, cette hiérarchisation des vies où le sort d’une femme amérindienne n’émeut ni les autorités, ni souvent les médias, ni même parfois ses voisins. Le fait que le mari de Mary Ellen soit parti sans être inquiété glace le sang, mais il est présenté comme presque banal dans ce contexte. Et c’est bien là le drame.
Ce film est un miroir tendu à l’Amérique, mais aussi à nous, spectateurs occidentaux, qui croyons trop facilement aux vertus réparatrices du progrès. Il montre que l’extermination d’un peuple peut prendre des formes multiples : déportation, stérilisation forcée, spoliation… mais aussi disparition, viol, oubli. Et que cela perdure, parfois sous nos yeux, dans un silence complice. Les Disparues convoque une mémoire collective brisée, et questionne la violence de ceux – souvent issus des élites, des classes dominantes – qui, au nom d’une supériorité raciale ou économique, ont décidé que certaines vies valaient moins que d’autres.
Ce n’est pas un documentaire qu’on regarde pour apprendre, mais pour être secoué, bouleversé, peut-être même révolté. Van Tassel réussit ce que peu de cinéastes documentaires osent : elle allie une enquête méticuleuse à une indignation palpable, sans jamais sombrer dans le sensationnalisme. Elle donne la parole à celles qu’on a voulu faire taire. Et dans le vacarme de l’indifférence générale, leur voix résonne enfin.
On sort de ce film avec le cœur lourd et les yeux ouverts. Et avec une question brûlante : quand cessera-t-on de considérer la destruction d’un peuple comme une donnée secondaire ? Ce film n’est pas seulement nécessaire : il est vital.

Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire