Vu le Film Pièges de Robert Siodmark (1939) avec Marie Déa Maurice Chevalier Claude Renoir André Brunot Eric Von Stroheim Madeleine Geoffroy Jacques Varennes Milly Mathis André Nicole Jean Brochard Robert Seller
Onze jeunes filles, danseuses de cabarets ou entraîneuses, disparaissent attirées par les petites annonces d'un tueur en série. Une entraîneuse aide la police dans son enquête. Les suspects forment une galerie de personnages inquiétants et de détraqués.
Avant Hollywood, il y eut Paris. Et juste avant la guerre, dans une capitale déjà gagnée par l’inquiétude, Robert Siodmak signait Pièges, un film étonnant, polymorphe, qui tient autant du polar que du conte moral, du théâtre de genre que de la chronique urbaine. On y retrouve déjà la patte du futur maître du film noir américain, mais aussi une liberté de ton propre au cinéma français de l’entre-deux-guerres. Et surtout : une surprise de taille, Maurice Chevalier… en accusé.
L’histoire s’ouvre sur une série de meurtres à Paris. Des femmes disparaissent après avoir répondu à des petites annonces. La police piétine. Le commissaire Bréville (Pierre Renoir) décide alors d’employer une stratégie audacieuse : utiliser une jeune dactylo intrépide, Adrienne Charpentier (Marie Déa), comme appât. Elle va se faire passer pour une femme seule en quête d’amour, et répondre à ces fameuses annonces.
Ce prétexte donne lieu à une succession de rencontres, parfois burlesques, souvent inquiétantes, avec toute une galerie d’hommes en marge, en manque ou en mal de contrôle. Le film, en apparence linéaire, devient alors un jeu de pistes. Et c’est ainsi qu’Adrienne fait la connaissance de Robert Fleury (Maurice Chevalier), gentleman charmeur, élégant, doux, qui tombe amoureux d’elle. Mais voilà : il est aussi arrêté, accusé, et bientôt condamné à mort pour les crimes. Une apparente évidence, trop belle pour être vraie.
La surprise, c’est que Chevalier, connu pour ses chansons et ses rôles légers, campe ici un personnage ambigu, suspect, soupçonné, traqué par la machine judiciaire. Il chante, bien sûr — deux fois — mais cette légèreté ne fait que souligner le malaise, accentuer le doute. Est-il vraiment ce tueur ? Ou bien un homme malchanceux pris dans l’engrenage d’un système pressé de trouver un coupable ? Le décalage entre son image populaire et la noirceur du rôle nourrit une tension inattendue, et profondément moderne.
À ses côtés, Marie Déa est formidable. Indépendante, volontaire, elle prend en main son destin dans un monde dominé par les hommes, les regards et les pièges. Son personnage n’est pas une simple victime ou une amoureuse passive : elle cherche, elle enquête, elle doute, et c’est elle qui, en définitive, résout l’affaire. Cette figure féminine forte, bien en avance sur son temps, donne au film une vigueur inattendue.
La mise en scène de Siodmak, parfois datée dans ses dialogues ou dans son montage, n’en est pas moins marquée par des éclats de virtuosité. Certaines scènes — comme celle de l’appartement aux marionnettes, avec un Erich von Stroheim inquiétant à souhait — basculent dans l’onirisme sombre, presque expressionniste. Le cinéaste tisse déjà une toile faite de soupçons, d’ombres et de reflets, où la lumière devient piège, et où la vérité se cache derrière les apparences.
Le film a été interdit par l’occupant nazi, en raison de la présence d’acteurs juifs et homosexuels, puis censuré aux États-Unis pour les mêmes motifs. Voir Pièges, c’est donc aussi faire acte de mémoire. Il s’agit d’un cinéma libre, divers, audacieux, où la comédie côtoie le malaise, où le populaire se heurte à l’inquiétude. L’ambiance urbaine, presque suffocante, annonce ce que Siodmak développera avec brio dans The Killers ou Phantom Lady.
Certes, le film a vieilli. Le ton change parfois trop brutalement, et la romance un peu forcée entre Adrienne et Fleury, bien qu’essentielle à l’intrigue, manque de naturel. Mais Pièges reste un film rare, singulier, parfaitement inclassable. Son charme vient justement de ses contradictions : on y chante et on y tue, on y rit et on y soupçonne, on y courtise et on y traque.
Ce n’est pas un chef-d’œuvre lisse, c’est une œuvre à facettes. À la fois policier, mélodrame, satire sociale et reflet d’une époque bientôt engloutie, Pièges est aussi un document précieux sur un Paris disparu, sur un cinéma de transition, et sur le dernier chant d’un monde à la veille du chaos. Un film à revoir, non pas malgré ses failles, mais pour elles.
NOTE : 12.50
FICHE TECHNIQUE
- Scénario : Jacques Companéez et Ernst Neubach sous le nom d'Ernest Neuville[1]
- Dialogues : Simon Gantillon
- Photographie : Michel Kelber, Jacques Mercanton, Marcel Fradetal, Ted Pahle[2]
- Décors : Georges Wakhévitch, Maurice Colasson
- Costumes : Robert Piguet
- Son : Pierre Calvet
- Musique : Michel Lévine (Michel Michelet)
- Montage : Yvonne Martin
- Production : André Paulvé, Michel Safra
- Société de production : Spéva-Films
- Maurice Chevalier : Robert Fleury
- Marie Déa : Adrienne Charpentier, l'entraineuse
- Pierre Renoir : Brémontier
- Erich von Stroheim : Pears, l'ex-couturier
- André Brunot : Ténier, l'inspecteur en chef
- Jacques Varennes : Maxime
- Madeleine Geoffroy : Valérie
- Milly Mathis : Rose
- Jean Témerson : Batol, un inspecteur
- Mady Berry : Sidonie, la cuisinière
- Pierre Magnier : l'homme d'affaires
- André Numès Fils : le spectateur barbu
- Raymond Rognoni : un inspecteur de police
- André Nicolle : un inspecteur de police
- Robert Seller : Carione
- Jean Brochard : le speaker
- Léon Arvel : le greffier
- Jacques Beauvais : le chef-cuisinier
- André Carnège : le juge d'instruction
- Henri Crémieux : le patron
- Max Dalban : le coiffeur
- Geno Ferny : le maître d'hôtel
- Nicolas Rimsky : Rouski
- Pierre Labry : le danseur
- Albert Malbert : le chauffeur
- Julienne Paroli : la bonne
- André Roanne : le patron
- Valaida Snow : elle-même
- Charles Vissières : le ministre
- René Worms : le maître d'hôtel
- Yvonne Yma : Mme Batol
- Henri Bry : Oglou Vacapoulos
- Catherine Farel : Lucie Baral
- Georges Malkine
- Robert Berri
- Liliane Lesaffre

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