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lundi 7 juillet 2025

12.10 - MON AVIS SUR LE FILM POLICE JUDICIAIRE DE MAURICE DE CANONGE (1957)


 Vu le film Police Judiciaire de Maurice de Canonge (1957) avec Henri Vibert Yves Vincent Robert Manuel Anne Vernon Denise Grey Jacques Charrier Albert Rémy Guy Decomble Lucien Nat Jean Martinelli Daniel Cauchy Orane Demazis  

Le film s'ouvre sur la présentation de la police judiciaire à travers le témoignage du chef de la brigade criminelle et d'une chimiste en cour d'assises. 

Un jeune voyou, Raoul, reconnaît des cambriolages, mais refuse de porter le chapeau quant à la mort de son complice. Son père effondré veut savoir la vérité mais Raoul l’envoie sur les roses… 

Abel le lutteur a un alibi en or, en la personne de René le Belge, le soir du meurtre de l’inspecteur Marcillac qui l’a surpris en flagrant délit. Seulement René le Belge vient prendre à Paris livraison de bijoux volés et la PJ l’apprend. Coincé, il a le choix entre en prendre pour dix ans ou renoncer à fournir un alibi auquel personne ne croit… 

Sorti en 1958 dans une France en pleine mutation — entre guerre d’Algérie, débuts de la Ve République et transformation des mœurs — Police Judiciaire de Maurice de Canonge s’inscrit comme un objet filmique hybride, à la croisée du polar classique, du film à sketches et du docu-fiction. Bien avant Les Experts ou Engrenages, ce film explore les coulisses du mythique 36, quai des Orfèvres, temple parisien de l’investigation criminelle, à travers quatre enquêtes distinctes mais complémentaires, toutes enracinées dans un quotidien tangible, fumant, bavard et profondément masculin. 

 

le film ne suit pas une intrigue centrale mais plusieurs mini-affaires, menées par une brigade d’inspecteurs et d’experts. Cambriolage meurtrier, crime passionnel, fausse identité, vol d’usine… Chaque segment est l’occasion de démontrer une technique d’enquête précise : autopsie, relevés d’empreintes, filatures, confrontations. C’est tout un écosystème de la PJ qui est passé au crible, avec ses bons et ses mauvais flics, ses experts consciencieux, ses victimes parfois peu nettes, et ses coupables plus humains qu’attendu. La dernière enquête, qui révèle un traître dans les rangs mêmes de la police, donne au film une tension finale inattendue. 

 

C’est là que réside la modernité du film : Police Judiciaire ne cherche pas le suspense haletant, mais s’attache à montrer comment on enquête vraiment. La caméra s’invite dans les laboratoires, les commissariats, les morgues, les salles d’interrogatoire… Maurice de Canonge adopte presque une posture de chroniqueur de l’institution, loin du romanesque. On touche au documentaire, et parfois même à la reconstitution : cela confère au film une authenticité rare pour l’époque. On pense à Dragnet aux États-Unis ou aux prémices des séries Maigret et Les Cinq Dernières Minutes en France, dont ce film pourrait être le chaînon manquant. 

 

Le ton, lui, oscille entre sérieux et pittoresque. Car cette PJ parisienne a ses rituels : on fume sans cesse, on tape à la machine, on badine avec les secrétaires (dans une ambiance sexiste d’époque), on mange au bistrot en discutant d’un coupable qui nie tout. Et les truands parlent titi, comme dans un roman de Léo Malet ou un dialogue d’Audiard sans la flamboyance. Mais sous la gouaille affleure une volonté de transparence : l’enquête est aussi morale que scientifique. 

 

Le casting, sans « stars bankables » comme Fresnay ou Gabin, est un trésor de seconds rôles impeccables, véritables piliers du cinéma populaire d’après-guerre : 

Yves Vincent, impressionnant de droiture, campe un inspecteur au regard droit, futur juge emblématique de la série Tribunal., Anne Vernon prostituée au centre des relations des coupables   qu’on entend avec trouble et compassion. Jean Tissier, immense touche-à-tout du cinéma français, croque ici un rôle savoureux de bavard mondain ou de suspect retors : avec les dialogues de Jeanson, c’est un régal. Suzanne Dehelly, en expert médico-légal, impose une autorité sans esbroufe, inattendue pour une femme dans ce genre de rôle en 1958. 

Et des caméos précieux : Denise Grey (notre Poupette bien avant La Boum), Orane Demazis (la Fanny de Pagnol, égarée ici loin du Vieux-Port), Jacques Charrier, jeune premier à la beauté insolente, encore à ses débuts. 

 

Sur le plan formel, Canonge fait un travail efficace, sans affèterie : pas de virtuosité, mais une mise en scène fluide, adaptée à la pluralité des intrigues. La photo noir et blanc valorise les décors sobres, l’action en intérieur, les bureaux de police et les rues grises. Le montage est rapide, rythmant bien les quatre volets de cette fresque policière. Une réserve toutefois sur l’académisme général : certains y verront un manque de style, d’autres une rigueur documentaire louable. 

 

Ce qui reste, c’est l’intérêt presque sociologique du film : Police Judiciaire est une capsule temporelle sur la pratique policière dans la France des années 50. On y voit un corps de métier à l’ancienne, viril, parfois expéditif, mais qui commence à se moderniser par la science, les fiches, les microscopes, les empreintes. Le film assume cette bascule entre deux mondes : celui des "flics à l’instinct" et celui des enquêteurs du réel. 

 
Police Judiciaire est une œuvre discrète mais précieuse, qui vaut autant pour ce qu’elle montre que pour la manière dont elle le montre. Si l’on accepte son rythme, sa construction fragmentée et son classicisme d’époque, on découvre un polar instructif, réaliste, peuplé de figures attachantes, qui mérite largement une place dans l’histoire du cinéma policier français. Pas un chef-d’œuvre, mais un jalon solide, intelligemment pensé et étonnamment actuel dans sa démarche. 

NOTE : 12.10

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