Vu le Film Lire Lolita à Téhéran de Eran Riklis (2025) avec Golshifteh Farahani Zar Amir Ebrahimi :Mina Kavani Bahar Beihaghi Isabelle Nefar Lara Wolf Arash Marandi
Après avoir étudié la littérature anglaise et américaine en Oklahoma et obtenu une licence et une maîtrise, Azar Nafisi retourne en Iran à l'été 1979 avec son deuxième mari, l'ingénieur civil Bijan Naderi, peu avant le début de la révolution islamique. Nafisi s'était engagée dans le mouvement étudiant iranien aux États-Unis et est convaincue qu'elle peut contribuer à la révolution qui renverse le Chah Mohammad Reza Pahlavi. Elle décide d'enseigner à l'université Allameh Tabataba'i, car elle pense pouvoir ainsi résister aux restrictions de plus en plus sévères imposées par le gouvernement
Dans Lolita à Téhéran, le cinéaste israélien Eran Riklis signe un film à la fois doux et brûlant, une œuvre de résistance par la littérature, de combat par l'intelligence. Tiré du récit autobiographique de la professeure Azar Nafisi, le film prend pour point de départ une salle de cours clandestine à Téhéran, dans laquelle une enseignante (interprétée avec une grâce grave par Golshifteh Farahani) initie quelques jeunes femmes à la littérature occidentale — Nabokov, Fitzgerald, Jane Austen — dans l’Iran des années 1990, en pleine chape théocratique. Ce qui pourrait être une reconstitution pesante devient un moment de lumière.
Divisé en quatre chapitres (comme un roman découpé avec précision), le film tisse avec pudeur les récits individuels de ses élèves — leurs doutes, leurs espoirs, leurs silences — à travers le prisme des œuvres qu’elles lisent. Chaque lecture devient un miroir tendu à leur propre condition : Lolita, évidemment, en tant qu’allégorie d’un pouvoir abusif ; Daisy Miller, comme symbole d’une féminité libre et jugée. La structure didactique pourrait faire craindre un film figé. Or, c’est tout le contraire : la caméra capte les regards, les gestes, les respirations avec une délicatesse remarquable, et Riklis n’a pas besoin d’énoncer les choses pour qu’on les ressente.
C’est bien dans le non-dit que Lolita à Téhéran frappe le plus fort. Le film ne montre pas frontalement la répression : il la suggère par le poids de l’ombre, par les silences pesants, par les portes qu’on referme à double tour. Mais cette oppression est contrebalancée par la vitalité des personnages, toutes ces femmes magnifiques d’intelligence et de courage. Il faut saluer la distribution féminine, bouleversante, qui incarne une pluralité de voix, de corps, d’identités. Chacune porte un fragment de l’Iran blessé mais debout.
Golshifteh Farahani, en figure tutélaire, impose une autorité tranquille. Elle incarne une femme brisée par l’exil intérieur, mais dont la parole et les lectures redonnent souffle à celles qui l’écoutent. En elle se joue un débat passionnant, presque socratique : la littérature peut-elle, doit-elle, se soumettre à la politique ? Ou bien est-elle par essence un geste de rébellion ? La question traverse tout le film sans jamais tomber dans le théorique. Elle vibre dans chaque scène, chaque échange.
La lumière du film — dorée, tamisée, presque onirique — évoque une réminiscence, un rêve qui se souvient. Ce n’est pas un film-manifeste, mais un film-mémoire. Un geste de transmission. L’émotion naît de la retenue. Il ne s’agit pas de dénoncer, mais de raconter. Il ne s’agit pas de crier, mais de lire à voix haute. Et c’est peut-être plus subversif encore.
Lolita à Téhéran ne surprendra pas par son déroulé narratif : l’arc est attendu, la progression logique. Mais ce n’est pas un défaut ici. La prévisibilité du récit renforce la puissance de son message. On n’est jamais dans l’ennui, car ce qui nous retient, ce sont les visages, les mots échangés, et cette conviction que la littérature est un acte de liberté. Un film simple, mais profondément habité.
En cent minutes, Riklis nous donne à voir ce que signifie "résister" quand parler d’amour, de désir, de liberté intérieure devient un geste politique. Une œuvre lumineuse et précieuse.
NOTE : 12.10
FICHE TECHNIQUE
Réalisation : Eran Riklis Scénario : Marjorie David, d'après l'œuvre d'Azar Nafisi Musique : Yonatan Riklis Décors : Tonino Zera Costumes : Mary Montalto Photographie : Hélène Louvart Son : Montage : Arik Leibovitch Production : Michael Sharfshtein, Marica Stocchi, Moshe Edery, Santo Versace, Gianluca Curti et Eran Riklis Production déléguée : Sharon Harel, Maya Amsellem et Ishay Mor Société de production : United King Films, Rai Cinema, Eran Riklis Productions, Topia, Minerva Pictures International et Rosamont Société de distribution : Metropolitan FilmExport
DISTRIBUTION
- Golshifteh Farahani : Azar Nafisi
- Zar Amir Ebrahimi : Sanaz
- Mina Kavani : Nassrin
- Bahar Beihaghi : Mahshid
- Isabella Nefar : Manna
- Lara Wolf : Azin
- Arash Marandi : Bijan
- Shahbaz Noshir : le magicien
- Arash Ashtiani : le gardien

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