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lundi 12 mai 2025

14.40 - MON AVIS SUR LE FILM LA MORT N'ETAIT PAS AU RENDEZ-VOUS DE CURTIS BERNHARDT (1945)


 Vu le film La Mort n’Etait pas au Rendez-vous de Curtis Bernhardt (1945) avec Humphrey Bogart Alexis Smith Sydney Greenstreet Rose Hobart Charles Drake Ann Shoemaker Edwin Stanley 

Richard Mason, un architecte, est marié à Kathryn, qui s'avère toutefois être une véritable mégère. Il tombe alors rapidement amoureux de la jeune sœur de cette dernière, et décide de tuer son épouse dans le but de pouvoir vivre librement et pleinement son bonheur. 

Conflict (titre original), réalisé par Curtis Bernhardt, est un pur polar noir, tout droit sorti de la grande époque hollywoodienne du genre, et qui mérite une redécouverte tant il joue avec les codes du film criminel psychologique. Si Bernhardt, émigré européen, est souvent catalogué comme spécialiste du mélodrame et du film sentimental (Possessed avec Joan Crawford), ici, il nous prouve qu’il sait aussi faire monter l’angoisse avec un raffinement glacé, à la manière d’un gentleman tordu. Et pour donner chair à cette descente aux enfers, il fallait un comédien qui sache marcher sur la corde raide du vice masqué : Humphrey Bogart, magistral, dans un rôle à contre-emploi. 

Le pitch est simple mais retors, et c’est là toute la beauté du film. Richard Mason (Bogart) est un ingénieur marié à une femme possessive et autoritaire, Kathryn. Il est secrètement épris de sa belle-sœur, Evelyn, douce et brillante, et voit en elle la promesse d’un avenir plus libre, plus romantique. Mais Kathryn ne veut pas divorcer. Qu’à cela ne tienne : Richard élabore le crime parfait. Lors d’un accident de voiture, il simule une blessure, organise un faux alibi, et tue sa femme dans un endroit reculé. Tout semble jouer en sa faveur, jusqu’au jour où des indices troublants ressurgissent : un parfum familier, une silhouette dans le brouillard, une lettre postée après la mort supposée. Kathryn serait-elle encore en vie ? Ou bien Richard est-il victime de sa propre conscience… ou d’une manipulation plus fine encore ? 

Curtis Bernhardt bâtit son film sur l’ambiguïté, celle du spectateur, d’abord, pris au piège d’un récit où rien n’est jamais montré frontalement, et où chaque personnage semble jouer un double-jeu. Puis sur celle du héros, bien entendu, que Bogart incarne avec une froideur inquiétante. Exit le détective cynique à la Maltese Falcon, place à un homme rongé par la passion, par la culpabilité, par un orgueil qui va précipiter sa chute. Voir Bogart dans ce rôle de prédateur sentimental, calculateur, presque glacial, est une expérience en soi. Il n’a jamais été aussi froid, et pourtant, c’est une de ses prestations les plus humaines, tant il laisse entrevoir les failles derrière le masque. 

Le scénario, coécrit par Alfred Neumann et Robert Siodmak (non crédité), rappelle autant les récits à la Agatha Christie – avec ce goût du faux-semblant, de la mise en scène criminelle élaborée – que les obsessions hitchcockiennes : le poids de la culpabilité, l’illusion de contrôle, le vertige de la manipulation mentale. Ici, pas de poursuite haletante ou de violence spectaculaire. Tout se joue dans les regards, les silences, les indices minuscules que le spectateur doit lui-même assembler. Une cigarette encore chaude, un disque oublié, un bijou déplacé. On est en terrain connu, mais habilement renouvelé. 

Le noir et blanc sert magistralement l’ambiance. Chaque ombre projette un doute, chaque éclairage exprime l’état d’âme du coupable. La photographie de Leo Tover (qui signera plus tard La Femme aux chimères) enveloppe le film d’un voile brumeux, presque onirique. C’est une brume morale, où les frontières entre le bien et le mal, entre la vérité et la folie, se brouillent lentement. 

Et puis, il y a cette tension constante, ce suspens sinueux, non pas haletant mais insidieux. Bernhardt distille l’angoisse comme une goutte de poison : lentement, patiemment, sans en avoir l’air. On pense à Fritz Lang, à Le Secret derrière la porte, à The Woman in the Window. Ce ne sont pas les coups de feu qui font peur ici, mais les silences lourds, les regards qui en disent long, les amis qui savent mais se taisent. Mention spéciale au personnage du psychiatre (brillamment interprété par Sydney Greenstreet), qui joue un rôle déterminant dans le dénouement, subtil et jouissif. 

La Mort n’était pas au rendez-vous n’est pas un film sur le crime en soi, mais sur ce qu’il déclenche : paranoïa, perte du réel, et surtout, un vertige moral. Oui, le héros est coupable, et il est puni. Mais ce qui reste, ce n’est pas la morale triomphante – c’est ce goût amer, cette sensation d’avoir été complice malgré nous. Mankiewicz n’est pas loin, ni Clouzot. 

En résumé : un petit bijou du film noir psychologique, habilement mené, merveilleusement interprété, et qui ose montrer un Bogart différent – plus inquiétant, plus malade, plus humain. Et cette question en filigrane : peut-on jamais vraiment échapper à sa propre conscience ? 

NOTE : 14.40

FICHE TECHNIQUE


DISTRIBUTION

Acteurs non crédités

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