Vu le film Body Double de Brian de Palma (1984) avec Craig Wasson Melanie Griffith Deborah Shelton Gregg Henry Jerry Brutsche Emmet Brown Barbara Crampton Linda Shaw Guy Boyd Frankies go to Hollywood
Alors qu'il interprète un vampire, Jake Scully ne parvient pas à sortir de son cercueil : cet acteur de « séries Z » est claustrophobe. Son réalisateur le somme de rentrer se reposer. Il rentre chez lui et trouve sa fiancée au lit avec un homme. Obligé de quitter le domicile de sa fiancée, il accepte l'offre de Sam, un acteur avec qui il a lié connaissance lors d'une audition : garder la belle maison circulaire sur les hauteurs de Los Angeles (la Chemosphere) qu'il garde lui-même pour un riche ami voyageant en Europe. Sam lui dévoile son activité favorite : observer avec une longue-vue sa voisine en contrebas, qui chaque soir se met en scène dans son appartement. Le lendemain soir, Jake épie la jeune femme et découvre qu'il n'est pas le seul à regarder le spectacle.
Quand Body Double sort en 1984, il est à la fois conspué par la critique, accusé de misogynie, d’indécence, de voyeurisme malsain, et ignoré par une grande partie du public. Pourtant, avec les années, le film est devenu un véritable objet de culte, souvent redécouvert dans l’intimité d’une chambre, sur une vieille VHS, ou entre amis fascinés par son audace. Ce basculement d’un « De Palma mineur » à un classique culte s’explique par sa nature ambiguë, transgressive, éminemment cinéphile.
L’histoire suit Jake Scully, un acteur de série B claustrophobe, en pleine crise existentielle, qui accepte d’occuper temporairement une maison ultra-design sur les hauteurs de Los Angeles. Chaque soir, grâce à un télescope, il observe une voisine se livrer à un effeuillage langoureux devant sa fenêtre. Cette routine de voyeur bascule dans la paranoïa et le crime lorsqu’il devient témoin d’un meurtre. En tentant de comprendre ce qu’il a réellement vu, Jake pénètre l’univers du porno californien et devient le jouet d’une manipulation complexe.
Brian De Palma signe ici un hommage trouble et assumé à Hitchcock, mélangeant les motifs de Fenêtre sur cour, Sueurs froides, Le crime était presque parfait, mais en les tordant, en les sexualisant, en les plongeant dans le Los Angeles sale et clinquant des années 80. L’érotisme de Body Double n’est pas gratuit : il est le moteur du regard, de la mise en scène et de la manipulation, autant pour les personnages que pour le spectateur. Le film s’interroge : peut-on faire confiance à ce qu’on voit ? Jusqu’où notre désir nous aveugle-t-il ?
Ce n’est pas un hasard si l’on pense à Blow Out (1981) : dans les deux films, un homme est happé dans une affaire de meurtre à partir d’une perception faussée — ici, la vue, là, le son. Mais Body Double est encore plus cruel : il jette son anti-héros dans un jeu de dupes où le spectateur, comme lui, est complice. Jake est un personnage faible, manipulable, érotomane — sorte de cousin raté de James Stewart dans Vertigo. Il est à la fois victime et prédateur, fasciné par la beauté, incapable de comprendre ce qu’il voit.
Le film est dérangeant parce qu’il pousse la logique hitchcockienne jusqu’à l’extrême, là où Hitchcock restait dans le suggestif, le cérébral, De Palma montre : le corps, le sang, la pornographie, le simulacre. La séquence du meurtre à la perceuse, grotesque et baroque, est devenue emblématique : outrancière mais stylisée, presque opératique.
Porté par une esthétique synthétique très 80s, par une BO signée Pino Donaggio, et surtout par une mise en scène virtuose, Body Double est un pur film de cinéma sur le cinéma, sur l’illusion, le faux, les reflets. Il interroge autant le désir masculin que les mécanismes de représentation. Il est également l’un des films les plus « méta » de De Palma, usant des codes du thriller érotique pour mieux les déjouer.
Malgré ses excès, ou peut-être grâce à eux, Body Double est un trip fiévreux, provocant, halluciné. C’est un De Palma où la forme prend le pas sur la cohérence du récit, mais c’est aussi ce qui le rend inoubliable. Le kitsch y devient art. Le vulgaire y côtoie le sublime.
Pas son plus grand film, certes — Blow Out, Carrie, ou Phantom of the Paradise sont plus aboutis — mais Body Double reste une pièce essentielle dans l’œuvre du cinéaste, un thriller de la pulsion, entre satire hollywoodienne, cauchemar sensuel et délire paranoïaque. Un film qu’on redécouvre à chaque vision. Et qu’on n’oublie jamais.
NOTE : 12.10
FICHE TECHNIQUE
- Réalisation : Brian De Palma
- Scénario : Robert J. Avrech et Brian De Palma
- Musique : Pino Donaggio
- Photographie : Stephen H. Burum
- Montage : Gerald B. Greenberg et Bill Pankow
- Décors : Ida Random (en)
- Costumes : Gloria Gresham
- Production : Brian De Palma et Howard Gottfried
- Sociétés de production : Columbia Pictures et Delphi II Productions
- Sociétés de distribution : Columbia Pictures (États-Unis), Warner-Columbia Film (France)
- Budget : 10 millions de dollars[
- Craig Wasson (VF : Hervé Bellon) : Jake Scully
- Melanie Griffith (VF : Élisabeth Wiener) : Holly Body
- Gregg Henry (VF : Patrick Floersheim) : Sam Bouchard
- Deborah Shelton (VO : Helen Shaver)[3] : Gloria Revelle
- Guy Boyd (VF : Marc de Georgi) : le détective Jim McLean
- Dennis Franz (VF : Jacques Ferrière) : Jon Rubin, un réalisateur
- David Haskell (VF : Michel Papineschi) : Will, le professeur
- Rebecca Stanley : Kimberly Hess
- Al Israel : Corso, un réalisateur
- Douglas Warhit : le vendeur de vidéos
- B.J. Jones : Douglas
- Russ Marin (en) : Frank
- Lane Davies : Billy
- Barbara Crampton : Carol
- Monte Landis : Sid Goldberg
- Slavitza Jovan : une vendeuse
- Cara Lott : une fille dans la salle de bain
- Steven Bauer : l'assistant-réalisateur de Holly Does Hollywood (non crédité)
- Brinke Stevens : une fille dans la salle de bain (non créditée)
- Annette Haven : une doublure (non créditée)
- Darcy DeMoss : une doublure (non créditée)

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