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mardi 6 décembre 2016

DECES DE MARCEL GOTLIB LE ROI DE L'ABSURDE (Gai Luron, Fluide Glacial)

Gotlib, le « roi de la déconnade », laisse orphelins ses lecteurs et ses personnages


Marcel Gotlieb, dit Gotlib, fut l’un des rares, sinon le seul auteur de bande dessinée à avoir eu de son vivant une statue à son effigie. Inaugurée à l’occasion du Festival international de la bande dessinée d’Angoulême 1992, faisant suite, un an plus tôt, à son obtention du Grand Prix, cette sculpture monumentale de cinq mètres de haut le représentait en artiste peintre au regard pénétré, une couronne de lauriers sur la tête. Son nom : Deconum rex – le « roi de la déconnade ». On ne saurait mieux qualifier celui qui s’est éteint, dimanche 4 décembre, à l’âge de 82 ans. Démiurge désopilant d’un art dérisoire ne nécessitant que du papier et de l’encre, Marcel Gotlieb avait érigé l’humour débridé en véritable esthétique.


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Sa disparition laisse orphelins une ribambelle de personnages dont le point commun fut de chatouiller les zygomatiques de plusieurs générations de lecteurs. Rien ne rapprochait, en surface, le renard Jujube du chef scout Hamster Jovial, le chien neurasthénique Gai-Luron du héros en charentaises Superdupont, l’érudit professeur Burp du papy salace Pervers Pépère, tous conçus au gré d’un parcours artistique personnel qui épousa l’évolution de la bande dessinée, médium longtemps réservé à la jeunesse avant d’étendre son lectorat aux adultes, au croisement des années 1970.

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Admirateur du magazine américain Mad, lecteur invétéré de Jerome K. Jerome et d’Alphonse Allais, Gotlib avait en fait réussi « la synthèse parfaite entre l’humour juif new-yorkais, l’humour anglais et l’esprit français », comme le souligne son ami Yves Frémion, ex-chroniqueur du mensuel Fluide glacial, fondé par le dessinateur, en 1975, avec Alexis et Jacques Diament. Gotlib avait le second degré dans le sang. Il aimait rire de tout, et tout particulièrement du rire, dans une mise en abyme hissée au rang de code narratif. 

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L’un de ses running gags les plus usés consistait ainsi à revisiter la blague du fou qui repeint son plafond et s’accroche au pinceau pour ne pas chuter de l’échelle, qu’on retire sous ses pieds. Un autre mettait en scène Isaac Newton, qui découvrit la loi de la gravitation universelle après qu’une pomme lui fut tombée sur le crâne. Maître en autodérision s’étant lui-même beaucoup croqué dans ses planches, Gotlib adorait tout autant se moquer de la culturepopulaire, à laquelle appartenait pourtant son œuvre : ses parodies du Tarzan de Burne Hogarth et des westerns spaghettis de Sergio Leone figurent parmi ses morceaux d’anthologie.
Rien cependant ne destinait Marcel Gotlieb à faire carrière dans l’ironie – surtout pas son enfance. Né à Paris de parents émigrés hongrois un jour de fête nationale, le 14 juillet 1934, il a 8 ans quand son père se fait arrêter, sous ses yeux, par la police française au milieu de la seconde guerre mondiale. Interné à Drancy, Ervin Gottlieb – avec deux T, avant qu’une négligence administrative ne lui en supprime un – sera ensuite déporté au camp de travail et de concentration de Blechhammer, en Haute-Silésie, puis à Buchenwald, où il mourra trois mois avant la capitulation du IIIe Reich. Gotlib – qui supprimera, lui, un E à son patronyme en adoptant son nom d’artiste – attendra un demi-siècle avant d’évoquer cet épisode tragique dans son autobiographie, J’existe, je me suis rencontré (Flammarion, 1993).

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Placé dans un orphelinat des Yvelines, le jeune Marcel dessine obstinément. Après-guerre, il suit les cours de dessin publicitaire des Arts appliqués, dispensés par Georges Pichard (le futur créateur de Paulette), avant d’être embauché comme lettreur chez Edi-Monde, occupation qui lui vaudra de dessiner des titres pour Le Journal de Mickey. Sa carrière d’illustrateur commence avec la réalisation de plusieurs albums pour la jeunesse, et celle d’auteur de bande dessinée avec une adaptation du Général Dourakine, en 1959. Trois ans plus tard, il entre à Vaillant (l’ancêtre de Pif Gadget) pour y créer Nanard et Jujube, série enfantine dans laquelle un personnage secondaire va peu à peu gagner en importance : Gai-Luron, cousin européen de Droopy, le cabot flegmatique de Tex Avery, dont Gotlib est grand fan.

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Une autre influence américaine va alors s’exercer sur le jeune dessinateur : celle de Madle magazine d’Harvey Kurtzman, spécialisé dans les parodies. Gotlib empruntera directement à l’un de ses dessinateurs cultes, Wally Wood, l’idée de meubler l’arrière-plan de ses cases avec un personnage anodin, capable d’interpeller le lecteur à grand renfort d’apartés. Ainsi naîtra sa célèbre coccinelle, le « bouche-trou » le plus fameux de la bande dessinée franco-belge. « La vérité est que je n’ai jamais aimé dessiner les décors. C’est pour cela que j’ai créé la coccinelle des coins de page : elle occupe l’espace. Mon truc à moi, cela a toujours été les personnages, les expressions du visage, les attitudes corporelles… »confiait Marcel Gotlieb au Monde en mars 2014.

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En 1965, René Goscinny dirige la rédaction de l’hebdomadaire Pilote. Lui aussi est un lecteur compulsif de Mad. Tous deux sont faits pour fusionner leur sens surdéveloppé de l’humour. Ce seront Les Dingodossiers, encyclopédie loufoque traitant des faits marquants de la société française de l’époque. Débordé par ses autres séries (Astérix, Lucky Luke…), Goscinny doit toutefois lâcher l’affaire au bout de deux ans. Il incite alors Gotlib à voler de ses propres ailes. Celui-ci donnera naissance à son chef-d’œuvre : la Rubrique-à-Brac, un fourre-tout d’histoires courtes laissant libre cours à son imagination déchaînée.

L’artiste est à son sommet. Il crée les personnages d’Isaac Newton, du savant Burp, des policiers Bougret et Charolles… Le topo hystérique de Burp consacré à la hyène restera un moment de délire graphique inégalé. Une évocation de la famine africaine à travers le prisme des médias (Désamorçage), une autre sur le bonheur de la paternité (La Boule) feront découvrir un Gotlib plus sensible. Le créateur a mûri. Il s’éloigne encore un peu plus de son lectorat juvénile en écrivant des scénarios pour Nikita Mandryka (Clopinettes) et Alexis (Cinémastock), puis donne vie à Superdupont, avec Jacques Lob, dans une parodie franchouillarde des super-héros américains. 

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La bande dessinée est, elle aussi, en pleine mutation. Pilote ne correspondant plus à ses aspirations, Gotlib lance, en 1972, un premier journal, L’Echo des savanes, avec Mandryka et Claire Bretécher. Puis un second, trois ans plus tard, Fluide glacial, dans lequel son trait à la souplesse élastique va explorer des thématiques encore plus adultes, comme la sexualité, avec cette même jubilation renouvelée. Petit à petit, Gotlib va alors prendre ses distances avec sa table à dessin, pour se concentrer sur ses éditoriaux et sur l’animation de Fluide glacial, une revue qui fera date dans le monde de la bande dessinée francophone.
Son influence sur le 9e art reste aujourd’hui considérable, l’égale d’un Hugo Pratt, ou d’un Hergé qu’on célèbre cette année sous les ors du Grand Palais. Lui a eu droit à trois expositions significatives dans sa vie, mais toutes dans des moments ou des lieux spécifiques : le Festival d’Angoulême (1992), le Centre belge de la bande dessinée, à Bruxelles, (2006) et le Musée d’art et d’histoire du judaïsme, à Paris (2014). Trop peu, diront certains aujourd’hui. Le « roi de la déconnade » disait s’en ficher royalement, rappelant à demi-mot que, s’il dessinait, c’était aussi pour oublier une déprime récurrente : « Je suis un grand dépressif, même si cela ne se voit pas. »

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Coscénariste 

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