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vendredi 5 février 2016

LA SEMAINE CINEMA DE CRITIQUE CHONCHON


Intéressante semaine de cinéma.
- "Spotlight" (USA) de Tom McCarthy, le réalisateur des intéressants "Le chef de gare" (2003), "The Visiter" (2007) et "Les Winners" (2011), et scénariste du très beau film d'animation "La-haut" (2009). Distribution au petits oignons : Michael Keaton, Mark Ruffalo (plus beau que jamais), Rachel McAdams, Liev Schreiber, John Slattery, Brian d'Arcy James, Stanley Tucci...
Adapté de faits réels, Spotlight retrace la fascinante enquête du Boston Globe – Prix Pulitzer – qui a mis à jour un scandale sans précédent au sein de l’Eglise Catholique. Une équipe de journalistes d’investigation, baptisée Spotlight, a enquêté pendant 12 mois sur des suspicions d’abus sexuels au sein d’une des institutions les plus anciennes et les plus respectées au monde. L’enquête révèlera que L’Eglise Catholique a protégé pendant des décennies les personnalités religieuses, juridiques et politiques les plus en vue de Boston, et déclenchera par la suite une vague de révélations dans le monde entier.
Le film est palpitant, et même si l'histoire est connue, il fait preuve, dans son scénario comme dans sa mise en scène de trois originalités majeures : d'abord, le credo du film, c'est la Justice, rien que la Justice, et jamais l'ombre de la vengeance ne vient troubler le récit, ce qui mérite d'être souligné, surligné pour un fil qui vient des USA, revenant à une tradition désormais lointaine ; ensuite, si on suit les protagonistes de cette enquête presque pas à pas, le film ne s'attarde pas sur leurs vies personnelles respectives, ce qui nous évite toute distraction, ce qui dégraisse le film et nous accroche à notre siège (on sent bien que le personnage incarné par Marc Ruffalo semble particulièrement troublé, et on en reste là, vivant son trouble, le scénario refusant avec brio d'en expliciter les causes) ; enfin, puisque tout le monde a fermé les yeux, les media aussi, les laissant à un mea culpa magistral (Michael Keaton, en une scène difficile, reconnaissant une forme de "culpabilité" est magistral).
Sur un tel sujet, celui de la Justice, j'ai rarement vu Hollywood investir autant d'intelligence.
- "Les délices de Tokyo" (France, Allemagne, Japon) de Naomi Kawase, dont j'ai particulièrement aimé "Still the Water", avec Kirin Kiki, Masatoshi Nagase, Kyara Uchida...
Les dorayakis sont des pâtisseries traditionnelles japonaises qui se composent de deux pancakes fourrés de pâte de haricots rouges confits, « AN ».
Tokue, une femme de 70 ans, va tenter de convaincre Sentaro, le vendeur de dorayakis, de l’embaucher.
Tokue a le secret d’une pâte exquise et la petite échoppe devient un endroit incontournable...
Dire l'ensemble des thématiques évoquées par ce film relève de la gageure, alors en voici les principales : l'isolement, la solitude, le partage, la transmission, le deuil, la filiation... Et tout est servi avec une infinie délicatesse, de la même façon que Tokue (Kirin Kiki) prépare sa pâte de haricots rouges confits.
Je tiens à évoquer ici le talent de Kirin Kiki, grande actrice de 73 ans, qui a déjà fait preuve de maestria dans "Still Walking", "I wish", "Tel père, tel fils", "Notre petite soeur" du maître Hirokazu Kore-Eda. Vous dire sa finesse de jeu m'est impossible.
Après presque 30 ans de carrière, Naomi Kawase nous offre avec "Les délices de Tokyo" son plus beau film.
- "Les Premiers, les Derniers" (France, Belgique) de Bouli Lanners avec Bouli Lanners, Albert Dupontel, Suzanne Clément, Michael Lonsdale, David Murgia (à suivre), Aurore Broutin, Philippe Rebbot (excellent !), Serge Riaboukine, Lionel Abelanski, Virlile Bramly, Max Von Sidow...
Dans une plaine infinie balayée par le vent, la Beauce, Cochise et Gilou, deux inséparables chasseurs de prime, sont à la recherche d’un téléphone volé au contenu sensible. Leur chemin va croiser celui d’Esther et Willy, un couple en cavale, ainsi que nombre de "personnages" tous plus "originaux" les uns que les autres.
D'emblée, il faut annoncer la couleur : l'histoire est bien ficelée, mais ce n'est pas ce qui importe le plus. C'est un film d'atmosphère, au pari esthétique et cinématographique aussi osé que réussi, mais qui pourrait en dérouter certains. Il semblerait que Bouli Lanners ait regardé du côté des Frères Coen, et précisément de "Fargo", et si le pari peut paraître cinglé, je l'ai trouvé bien tenu.
Pas grand chose à redire sur la distribution et l'interprétation. Les rôles sont très bien incarnés, en dehors peut-être de Riaboukine et Abelanski qui continuent inlassablement de me laisser indifférent. Mention spéciale au directeur de la photographie, Jean-Paul de Zaeytidj (il a travaillé sur "Voleurs de chevaux" en 2006, "Eldorado" en 2008, "Les Géants" en 2011).
Ce film est une sorte de leçon des ténèbres, où la lumière est au cœur du récit. Road-movie humaniste mâtiné de western moderne, le nouveau film de et avec Bouli Lanners est un ovni chaleureux et indispensable. Un conte absurde, émouvant, suspendu.
- "45 ans" (Grande Bretagne), de Andrew Haigh (à qui l'on doit le superbe "Week-End" sorti en 2012, et la réalisation de certains épisodes de la fameuse série "Looking"), avec notamment Charlotte Rampling et Tom Courtenay.
Kate et Geoff Mercer sont sur le point d’organiser une grande fête pour leur 45e anniversaire de mariage. Pendant ces préparatifs, Geoff reçoit une nouvelle : le corps de Katya, son premier grand amour, disparu 50 ans auparavant dans les glaces des Alpes, vient d’être retrouvé. Cette nouvelle va alors bouleverser le couple et modifier doucement le regard que Kate porte sur son mari…
Je n'ignore rien de toutes les nominations et des prix qu'a reçus "45 ans". Pour autant, reconnaissant l'intérêt de son sujet, ayant constaté la sensibilité du réalisateur (surtout lorsqu'il film au plus près des visages), admiratif du talent tout en pudeur de Tom Courtenay, mais, pour plusieurs raisons, j'ai été rétif à l'interprétation de Charlotte Rampling (comédienne que j'admire pourtant), qui m'a parue bien davantage rester l'icône Charlotte Rampling qu'incarner le personnage de Kate Mercer.
Il y avait un côté "regardez-moi dans mes somptueux lainages Martin Marghiella et Hermès, avec mes 70 ans et mon corps de top-model à la retraite qui n'a pris que 250g en 50 ans". Je n'ai pas perçu dans son jeu la douleur que peut procurer la conscience aiguë du temps qui passe, ne percevant en elle qu'une sorte de jalousie maladive qui ne semblait pas apparoir à son personnage, mais à elle même.
Il faut dire que pour ce type de rôle, Liv Ullmann sous la houlette de Ingmar Bergman dans ce chef d'oeuvre qu'est "Saraband" nous a emmenés à de tels sommets, que le réalisateur aurait été, selon moi, de choisir une actrice moins égotiste. J'aurais voulu la voir se craqueler de l'intérieur dans un plus grand don de soi (à la façon d'une Isabelle Huppert ou d'une Juliette Binoche).
Le film, au final, ne manque pas d'intérêt, et je reconnais les talents qui y ont été investis, comme j'ai saisi parfois la sensibilité et la délicatesse qui lui sont apportés, mais, et c'est assez "mystérieux", je ne suis pas parvenu à "y entrer" malgré les miracles dont fut capable Tom Courtenay.

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