Le cinéma Le Brady dans le 10ème Arrondissement de Paris, sur le Boulevard de Strasbourg , a été un de mes lieux de prédilection de mon adolescence, car avant d'être racheté par Jean Pierre Mocky, qui évidement passait ses films en priorité.
Dans ce cinéma, on avait le droit chaque semaine à des films d'horreur du style Dracula, Frankenstein et autres de la Hammer Films, que de souvenirs.
Sa vie ressemble peut-être à la loufoquerie d'un film de Jean-Pierre Mocky, mais il arrive au rendez-vous avec un paquet de petites fiches, au cas où sa mémoire le lâche. Sa hantise : mal citer le titre de l'un de ses livres préférés, La Confession d'un enfant du siècle,tomber dans le panneau Claude Lelouch, et dire à la placeItinéraire d'un enfant du siècle… Au fil de la discussion, Jacques Thorens n'aura pourtant pas l'occasion d'évoquer Alfred de Musset, mais Charles Bukowski et Hubert Selby Jr. Et Nan Aurousseau, l'ancien braqueur et plombier, devenu romancier, qui l'a convaincu que lui aussi, après tout, pouvait peut-être essayer de prendre la plume.
« Ces fiches me rassurent, car avec cet ouvrage, c'est un peu comme si j'étais devenu spécialiste de plein de sujets ! » Pour écrire son récit interlope consacré au cinéma Le Brady, Thorens a dû tirer plusieurs « fils » : les salles de quartier, le cinéma bis avant que Quentin Tarantino ne le réhabilite (« blaxploitation, giallo, kung-fu, western-spaghetti, porno, étrangleurs, bossus, femmes fouettées en prison, morts-vivants, lézards en plastique, érotico-cannibales »), la pauvreté, la prostitution ou le quartier Château-d'Eau. Jusqu'à s'aventurer à évoquer la « géopolitique de la programmation cinématographique du pop-corn » !
« En travaillant au Brady comme projectionniste au tout début des années 2000, j'ai assisté à la fin d'un phénomène né dans les années 1970. J'ai eu envie de comprendre : comment des clochards en arrivent-ils à dormir dans une salle de cinéma ? », raconte Thorens, né en 1973 à Sofia d'une mère bulgare et d'un père français, et arrivé à Paris à l'âge de trois ans.
Construite en 1956 et cinéma permanent jusqu'en 2003, cette salle obscure, située au 39, boulevard de Strasbourg, dans le Xe arrondissement de Paris, fut tout à la fois le temple de l'horreur et du fantastique, et un refuge pour marginaux en tous genres : un grand dortoir et un lupanar, club de rencontre pour vieux homos maghrébins, vestiaire pour prostituées bulgares, le seul cinéma où la file d'attente devant les toilettes était plus longue que devant la caisse et où l'on pouvait, à l'occasion, se faire griller des saucisses sur un Butagaz. Au Brady, entouré par deux salons de coiffure africains « Saint-Esprit » et « Jésus », les films se nomment plutôt Les Orgies de Frankenstein ou Le Sadique aux dents rouges. Mais la vraie malédiction se profila le jour où Gérard, caissier, gérant et programmateur, se mit en tête de projeter Harry Potter en même temps que L'Esclave de Satan etBaise-moi, pour renflouer les caisses, attirant ainsi des enfants et leurs parents…
La lecture du Brady. Cinéma des damnés, tentative d'épuisement d'un lieu parisien, fera sans doute une drôle d'impression aux visiteurs de multiplexes aseptisés et à tous les aficionados de cinéma dématérialisé, DVD ou VOD… Ici, ça a longtemps été ambiance « train fantôme » ou « Titanic » — mais un Titanic qui « n'arrivait jamais à couler définitivement »… Le Brady est un lieu « dingue et insubmersible », comme le réalisateur Jean-Pierre Mocky, « SDF de la pellicule », qui en fut le propriétaire de 1994 à 2011 et y construisit une deuxième salle pour y projeter ses propres films.
A travers les fragments qui composent ce livre kaléidoscopique, où la tragédie d'une unité de lieu flirte outrancièrement avec le comique de situation, se reflète une galerie, fêlée, de portraits : Bouboule, qui avec cinq euros tient « une demi-heure au bistrot », mais « une journée entière au Brady » ; Mado, une des rares femmes (qui dit enterrer ses maris à tour de bras) à oser passer la porte de cette antre misogyne ; Laurent le « bissophile » (amateur de cinéma bis), informaticien à la SNCF, déniaisé par L'Invasion des araignées géantes, et fou des Frissons de l'angoisse de Dario Argento ; Django, un ancien para et proxénète, pied-noir d'Algérie originaire du sud de l'Italie, biffin alcoolique. « Django, il a disparu, je le cherche toujours. Il est dans un hospice quelque part », explique Thorens, un brin nostalgique. Et le Brady, où est-il ?
Vous pourrez retrouver toute la vie du Brady et ce type de salles dans le livre "Cinéma des damnés"., mais pas à mettre dans toutes les mains.
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