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dimanche 11 octobre 2015

FATIMA DE PHILIPPE FAUCON par Critique Chonchon

Fatima".
Fatima (Soria Zeroual, lumineuse, solaire), divorcée de son époux (Chawki Amari) vit seule avec ses deux filles : Souad (Kenza Nora Aïcha), 15 ans, adolescente en révolte, séchant les cours avec sa copine Sali (Yolanda Mpele), et Nesrine (Zita Henrot), 18 ans, qui commence des études de médecine.
Fatima maîtrise mal le français et le vit comme une frustration dans ses rapports quotidiens avec ses filles. Toutes deux sont sa fierté, son moteur, son inquiétude aussi. Afin de leur offrir le meilleur avenir possible, Fatima travaille comme femme de ménage avec des horaires décalés.
Un jour, elle chute dans un escalier. Toujours très attentif, son médecin (Franck Andrieux) lui prescrit un arrêt de travail, et Fatima se met à écrire en arabe ce qu'il ne lui a pas été possible de dire jusque-là en français à ses filles.
Je sais pertinemment que la messe de cette semaine, forcément étasunienne, s'intitule "Sicario", mais privilégiant toujours le cinéma aux films, je vais délibérément voir, d'abord, le film de Philippe Faucon, dont je n'ai jamais cessé de défendre et soutenir les films, que ce soit "La Trahison" (2005), "Dans la vie" (2007), et surtout l'indispensable "La Désintégration" (2012), parce que ce niveau est rare et précieux au cinéma.
Le film est adapté du livre "Prière à la lune" de Fatima Elayoubi, qui est un petit recueil de poèmes, de pensées et de fragments écrits divers. C'est la productrice Fabienne Vonier (laquelle n'a par la suite pas pris part au film) qui l'a proposé à Philippe Faucon, lequel s'est immédiatement demandé comment en tirer un film. Sa rencontre avec l'auteure du livre a accéléré les choses. Le metteur en scène explique : "J’ai mieux compris l’intuition qu’avait eue Fabienne quand j’ai rencontré Fatima Elayoubi, qui est une personnalité extraordinaire. Elle est venue en France en suivant son mari, sans savoir ni écrire, ni parler le français, et elle n’a donc eu accès qu’à des boulots peu considérés. Elle a fait des ménages toute sa vie et a commencé à parler et à écrire sur le tard, car ses horaires et ses difficultés de vie ne lui laissaient guère de temps pour apprendre. Elle a appris quasiment seule, en déchiffrant puis en lisant tout ce qui lui tombait sous la main. Aujourd’hui, son expression est riche et minutieuse, on sent un besoin de l’exactitude du mot qui exprimera sa pensée ou son ressenti." Grande intelligence de Philippe Faucon et de la production qui ne crie pas sur les toits, à des fins de promotion, que "Fatima" s'inspire de faits réels...
Plus subtilement qu'Abdellatif Kechiche, Philippe Faucon articule son film sur le langage, celui de Fatima qui parle essentiellement l'arabe parce que manipulant mal le français, celui de sa fille aînée Nesrine parlant un français soutenu et maniant un vocabulaire abscons parce que "faisant médecine", celui enfin de Souad, parlant davantage "banlieue".
La banlieue justement, celle de Lyon, que le réalisateur s'attache à montrer comme étant aussi un champ des possible, sans en édulcorer quoi que ce soit, et s'amusant même à y mettre une ambiance "bled", avec les femmes qui commèrent et persiflent. Il y trouve des adolescents inquiets, parfois animés d'une colère qui s'exprime difficilement, mais qui sont comme tous les adolescents, flirtant et vivant leur première romance.
La thématique de la violence est aussi dépeinte dans le film. Elle peut prendre plusieurs formes, allant de la violence insidieuse de la bourgeoise qui emploie Fatima, celle sous-jacente de la propriétaire qui refuse de louer son appartement à une femme voilée, et celle beaucoup plus explicite de l'adolescente Souad qui peut parfois être méchante avec sa mère. La violence de Souad est en lien direct avec celle subie par Fatima, même si Souad dirige aussi la sienne contre sa mère, à qui elle reproche d’être une ‘‘cave’’ tout juste bonne à se laisser exploiter. Mais il y a un moment où Souad craque et où l’on voit bien qu’à l’origine de sa fureur, il y a la non-acceptation de ce qui est vécu par sa mère. Fatima le comprend lorsqu’elle écrit dans son cahier : "Là où un parent est blessé, il y a un enfant en colère".
Symbole simple, mais ô combien percutant, que ce cahier où Fatima écrit ses pensée en arabe, et qu'elle finira par oser faire lire à la femme médecin du travail qui la suit, dans une scène très sobre, mais gorgée d'émotion.
Présenté en France à Cannes (à la Quinzaine des Réalisateurs), et en Italie à Giffoni, "Fatima" s'est vu recevoir le Prix Amnesty, probablement parce que les problématiques liées à l'intégration des personnes issues de l'immigration est une thématique récurrente dans la filmographie de Philippe Faucon, comme en témoigne par exemple son précédent long métrage "La Désintégration". En revanche, si ce film rendait compte de l'échec cuisant de l'intégration, Fatima montre une certaine forme d'intégration réussie. Ce n'est pas rien de voir Fatima lire et comprendre son premier mot écrit en français,, qui n'est autre que le nom de sa fille sur le tableau d'affichage qui "prouve" qu'elle a réussi sa première année de médecine.
Enfin, il faut souligner le fait qu'il est impossible de dénombrer le nombre de pièges que Philippe Faucon évite : non, Fatima n'ôte pas son fichu pour réussir son intégration ; non ce n'est pas un drame quand sa fille de 18 ans emménage dans un nouvel appartement avec une copine pour être plus près de la faculté de médecine ; non, ce n'est pas l'hystérie parce que Fatima est divorcée ; non, la banlieue n'est pas qu'un brasier alimenté par des tonnes de drogues ; non, la structure de la pensée des maghrébins ne passe pas que par l'Islam ; non, la famille n'est pas à feu et à sang parce que les deux jeunes filles flirtent ; etc...
Procédant par petites touches, le récit égrène ici et là les barrières de la langue, les fossés générationnels, le racisme ordinaire, la condescendance. Prenant soin d’éviter de tomber dans les travers du film à thèse, sans jamais se répandre dans la "bonne conscience" (frisant souvent la condescendance, voire le mépris) de salon.
Sans recours au spectaculaire, sans angélisme non plus, s'en tenant au quotidien de personnages dont il suit pas à pas les désarrois et les élans, affirmant à chaque plan la vérité de la vie, Philippe Faucon signe un très grand film en forme d'épure.
Que "Fatima" se refuse, comme point final, à un fatalisme attendu est la poursuite d’une démarche qui se veut discrètement politique... La douceur du film, à l'image de la douceur fatiguée du visage de Sorial Zeroual qui illumine littéralement le film, est salutaire, précieuse, à l'heure du repli sur soi et des haines diffuses. Une douceur soutenue par les plans fixes admirables de Laurent Fénart et la musique discrète de Robert Marcel Lepage.
"Fatima" est un film si délicat qu’il est difficile d’en parler sans l’abîmer.
Du très grand cinéma.

Critique de FATIMA de Philippe Faucon par Critique Chonchon

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