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dimanche 17 mai 2015

LA TETE HAUTE DE EMMANUELLE BERCOT par Critique Chonchon

La tête haute.
Le parcours éducatif de Malony (Rod Paradot) élevé par une mère immature (Sara Forestier), de six à dix-huit ans, qu’une juge des enfants (Catherine Deneuve) et un éducateur (Benoît Magimel) tentent inlassablement de sauver.
Assez logiquement, après avoir proposé "Polisse" (réalisé par Maïwen) qui proposait un dispositif passionnant, choral, sur la police prenant en charge les enfants, Emmanuelle Bercot propose aujourd'hui ce qui pourrait être un second volet, presque en parallèle, sur la justice, et évidemment, l'éducation.
Le nom d'Emmanuelle Bercot traînait vaguement dans ma tête, d'abord parce que c'est surtout Maïwenn qui a récolté, à juste titre, les fruits de l'excellence de "Polisse", ensuite parce qu'elle est issue de La Fémis (tout comme sa co-scénariste Marcia Roman), ensuite aussi parce que comme est elle est amie avec Tavernier, Assayas, etc... elle pourrait être surestimée par les critiques de connivence, enfin parce qu'outre "Clément" réalisé en 2001, je n'avais trouvé que "corrects" "Backstage" en 2004 et "Elle s'en va" en 2013, même si ses téléfilms "Tirez sur le caviste" et "Mes chères études" étaient eux, plus réussis.
Je le dis d'emblée, Emmanuelle Bercot est désormais un nom que je n'oublierai pas, quel que soit le résultat de ses projets à venir. "La tête haute" est une réussite.
Replaçons les choses dans leur conteste. Le Festival de Cannes, même s'il est incontestablement le plus grand festival international de cinéma du monde, ne propose pas toujours de bons films en ouverture. Je pense pour ma part que le fond a été atteint l'an dernier avec l'horreur commise par Olivier Dahan (qui est cinéaste comme je suis curé) intitulée "Grace de Monaco", et qui aurait du continuer de réaliser des clips. Ce fut une une honte (toute commerciale), une insulte au 7ème Art que d'ouvrir le Festival de Cannes avec une daube pareille. La leçon a été retenue, et cette année, avec "La tête haute", nous sommes devant, non seulement un film digne d'être en sélection, mais aussi digne d'être au palmarès. Voilà, c'est dit.
Je tiens aussi à rappeler à l'inculture généralisée, que si le Festival de Cannes existe, c'est en grande partie grâce à la CGT et aux mairies communistes. En conséquence de quoi, même si débilité commerciale en débilité people, tout s'oublie, même l'essentiel, même donc l'une des missions originelles du Festival de Cannes ! Voilà, ça aussi, c'est dit.
La première scène, dans le bureau de la juge, est un dialogue entre une juge pour enfant, une mère désemparée, une greffière, un éducateur, un avocat, un procureur, deux gamins. La réalisatrice prend le parti d'humaniser son film plus tard, et on ne voit aucun visage. Nous somme devant "la machine judiciaire", et c'est brillant. Le spectateur n'est pas pris pour un abruti, il n'a pas besoin qu'on lui montre tout, il écoute.
Ça vous rentre tout de suite dans le corps, vous savez que sont convoqués ici les Frères Dardenne, Ken Loach, Bruno Dumont, Gus Van Sant... Ce sera sec, tendu, âpre. On le sent immédiatement, le film nous dira des choses importantes sur la société d’aujourd’hui, dans la tradition d’un cinéma moderne, pleinement engagé sur les questions sociales et dont le caractère universel en fait une œuvre idéale pour le public mondial.
"L’éducation est un droit fondamental. Il doit être assumé par la famille et si elle n’y parvient pas, il revient à la société de l’assumer…". C’est au cours d’une de ses lectures qu’Emmanuelle Bercot est tombée sur cette phrase, alors qu’elle effectuait un travail de recherches approfondies. La phrase résume parfaitement le travail qui est fait pour ces mineurs écartés du système et la lutte pour l’éducation.
Catherine Deneuve est prise pour ce qu'elle est : "la grand dame du cinéma français", et Emmanuelle Bercot s'en amuse un peu, avec le consentement de l'actrice, la filmant presque comme une statut, voire un monument. Et oui, là, dans ce rôle presque sans nom, Catherine Deneuve est "monumentale", hiératique, immuable, n'abandonnant jamais. Sara Forestier trouve un rôle à sa mesure et à l'aune de sa singularité, en mère immature, désemparée, totalement dépassée par la rage de son fils. Mais là où Emmanuelle Bercot prouve qu'elle est une excellente directrice d'acteur (comme son amie Maïwenn), c'est lorsqu'on voit ce qu'elle offre à Benoît Magimel. On assiste presque à une "résurrection" cinématographique.
Je ne vais pas vous raconter par le menu tout ce qui touche au jeune Rod Paradot, le casting sauvage fait par la fameuse Elsa Pharaon, son CAP de menuiserie à Stains... les journaux et magazines jusqu'aux plus indigents s'en chargeront.
Malony a d'évidence été un rôle complexe à écrire. Cela a forcément été difficile pour l’acteur novice de rendre cette "tête à claques" attachante, dont les fulgurante de rage et de violence sont à couper le souffle. Le spectateur doit suivre un cheminement où il finit par comprendre et aimer Malony en acceptant ses fêlures ainsi que sa souffrance. Tour à tour, le film distille un sentiment qui oscille entre confiance et découragement, ce qui constitue un dosage très délicat à trouver que la réalisatrice réussit. Et le jeune Rod Paradot de nus montrer qu'il est peut-être le nouveau Jérémie Rénier. (Espérons que les mauvais films et leur vulgarité ne le dévoreront pas, comme ne manquera pas de commencer de le faire, très probablement, un César du meilleur Jeune Espoir Masculin !)
Pour que de délicat équilibre soit aussi puissant qu'évident, en contrepoint des Deneuve, Forestier et Magimel, Emmanuelle Bercot a fait appel à des non professionnels pour jouer certains éducateurs. Ce choix n’est pas anodin puisqu’il avait pour but de confronter les acteurs à quelque chose d’inattendu, de risqué mais authentique. Pari réussi, là encore.
15 ans, 16 ans, 17 ans... l'adolescence, les premières amours. Emmanuelle Bercot n'élude pas la question, mais fait valser les clichés habituels. Ce sera la jeune Tess (Diane Rouxel), une adolescente un peu "garçon manqué" pratiquant la boxe, mais posée, apaisée, calme, forte, réconfortante... Non, Malory ne craque pas pour une petite bimbo vulgaire qui se féminise à l'excès. Tess pourrait très bien sortir d'un film de Céline Sciamma, être en apparence, une "Tomboy" qui a grandi.
La paternité. La double paternité même. Ce sera d'abord à Yann, l'éducateur, dont on apprend tardivement le prénom, dont on apprend par petites touches le parcours passé - probablement semblable à celui de Malony - et l'adolescent enragé, de comprendre et d'admettre qu'ils ont une relation "père-fils", de le formaliser dans une scène magnifique, avec un "j't'aime" très percutant. De cette paternité de l'éducateur pourra éclore celle de l'adolescent.
Les regards. Audacieuse Emmanuelle Bercot qui comme les Frères Dardenne s'attachent aux regards. La juge, l'éducateur, la mère, la greffière, l'adolescent, l'adolescente : que de dialogues sans mots ! C'est parfaitement maîtrisé, subtilement filmé.
La musique. Un milieu social très modeste, désoeuvré, acculturé... donc du rap ? Là encore, Emmanuelle Bercot n'hésite pas à envoyer valser les clichés d'usage, et privilégie la musique classique. Elle ajoute, ne rajoute pas. Beau travail.
Alors non, ce n'est pas encore à la hauteur des Frères Dardenne, de Maurice Pialat, de Abdellatif Kechiche, mais quand même !
Vous lirez peut-être comme moi, avec un raisonnement qui n'en est pas un, qui n'est que de la comparaison fainéante, un rapprochement avecMommy" de Xavier Dolan. Oubliez-vite cette baliverne à la Paris-Match, de grâce ! Le rapprochement (et pas la comparaison !) avec "Polisse" est bien plus pertinent.
Tendu, sec, âpre, enragé "La Tête haute" est un drame vibrant. Certaines scènes, par leur cruauté et leur violence fulgurante, vont d'ailleurs choquer, la gêne ressentie par le spectateur est palpable dans la salle. Mais c'est ici l'émotion la plus pure qui nous bouleverse. Avec les accents du documentaire pour la véracité du ton et la force de la fiction pour la puissance du jeu de ses personnages, on a, nous aussi, le cœur qui bat pour ce film grave, dur qui se termine sur une note d'espoir.
Cette note d'espoir finale est ma seule réserve.
Une chose est certaine, Rod Paradot, parfaitement aidé par Deneuve, Forestier et Magimel, est un uppercut et une belle... "Promesse".

Critique Chonchon

La Tête Haute de Emmanuelle Bercot avec Rod Paradot, Catherine Deneuve, Benoit Magimel et Sarah Forestier

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