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dimanche 27 septembre 2015

BROOLYN de PASCAL TESSAUD par Critique Chonchon

Coralie (KT Gorique), jeune rappeuse suisse de 22 ans se produisant sous le nom de Brooklyn, quitte son pays et un père qui ne la comprend plus, pour s’installer à Paris. Logée chez Odette (Liliane Rovère, cocasse à souhaits), une retraitée, elle trouve un petit job dans une association musicale, présidée par Elisabeth (Véronique Ruggia), de Saint-Denis, en banlieue parisienne. Lors d’une soirée slam, elle est poussée sur scène par l’un des animateurs. D’abord hésitante, elle conquiert son public et tape dans l’œil d’Issa (Rafal Uchiwa), jeune rappeur, l’étoile montante de la ville…
Brooklyn sera encouragée à enregistrer en studio par Yazid (l'excellent Jalil Naceri qu'on voit tant à la télévision qu'au cinéma depuis 20 ans), tandis qu'Issa, par intérêt, couche avec Elizabeth, afin de sortir un disque, dont les paroles ne seront autres que les textes qu'il aura volés à Brooklyn...
Le jeune réalisateur Pascal Tessaud a fait des études de cinéma à Nanterre, puis a été animateur culturel pendant 3 ans à Saint Denis, a réalisé 4 courts-métrages ("Noctambules", "L'été de Noura", "Faciès", "La ville lumière") et des documentaires pour la télévision, avant de nous proposer "Brooklyn".
Le postulat de départ était de réaliser un long métrage rendant hommage à la création artistique en banlieue, que cela concerne les musiciens, les rappeurs, les slameurs, les beatmakers ou lescomédiens. L'idée pour le réalisateur a été assez vite de raconter une histoire se déroulant dans un univers musical à Saint-Denis, ville qu'il connaît bien puisqu'il y vit. Pour Pascal Tessaud, le but était de filmer un microcosme, une association de musique qui serait le reflet de notre société, le tout ancré dans la réalité quotidienne de la banlieue parisienne : "Brooklyn est né de ma volonté de rendre hommage à ma culture : le hip-hop qui m’a fait grandir, réfléchir, construire et découvrir des artistes et une philosophie de vie précieuse. Réaliser Brooklyn pour moi, c’est payer ma dette envers une culture autodidacte, universelle, qui m’a donné envie d’ouvrir des livres, dans un questionnement artistique, politique, littéraire. Une culture totalement sous-estimée en France et quasiment oubliée par le cinéma français, à quelques exceptions près."
Le réalisateur ose une référence décalée à "Do the right thing" de Spike Lee, refuse de dresser le portrait de la banlieue qu'on attend de lui. C'est audacieux, et surtout, très intéressant. D'autre part, le réalisateur s'est nourri de l'influence de metteurs en scène majeurs du naturalisme, tels que John Cassavetes, Ken Loach, Maurice Pialat ou Abdellatif Kechiche.
"Brooklyn" mélange plusieurs genres cinématographiques. Libre dans son propos et sa forme, il emprunte tout aussi bien au film musical qu'à la comédie tout en pouvant également se voir comme un drame social ou un documentaire. C'est ce qu'on nomme du "cinéma guérilla", c'est à dire désignant un genre de films à très petit budget, regroupant des équipes réduites et filmant généralement sans autorisation avec des équipements légers. Ce type de cinéma, indépendant de toute contrainte, est de plus en plus reconnu depuis quelques années, à l'image des films présentés dans les festivals de cinéma.
"Brooklyn" détonne par sa sérénité et sa douceur, même dans les scènes les plus tendues du film, son flow aussi vif et agile que celui de son héroïne, et sa capacité à représenter des environnements et ceux qui les habitent avec fraîcheur et immédiateté. Techniquement impeccable, il y a pourtant une forme de cinéma "à l'arrache" en ce sens que transparaît clairement la volonté de Pascal Tessaud à montrer une jeunesse que le cinéma refuse obstinément de montrer autrement que comme des écervelés dealeurs/rappeurs/graffeurs/bling-bling.
La distribution, qui outre Liliane Rovère, Jalil Naciri et KT Gorique ne compte que des non professionnels (Blade MC, Desppe Gonzales, Babali Show, Huaby, Akram Boutejine, Inaya, Bouzid Laiourate, Sarah Guem, Zirko...) est impeccable, réussissant toute interprétation caricaturale.
Formé aussi aux arts graphiques,Tessaud n'oublie pas d'inventer sa forme, synchrone de son fond, avec un montage elliptique et tranchant, un rythme à la fois languide et syncopé, un flow filmique qui tiendrait à la fois de l'improvisation du jazz et des scratches du rap.
C'est un premier film réussi, sur le fond comme sur la forme. Certes perfectible, il force le respect avec dignité tant il va à rebours des clichés nauséabonds qui affleurent un peu partout dès qu’est prononcé le mot «banlieue».

Critique de Brooklyn de Pascal Tessaud par Critique Chonchon

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