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mardi 26 mai 2015

LE PALMARES SELON CRITIQUE CHONCHON (son avis pas le mien)



Alors, ce Palmarès du Festival de Cannes ?
Replaçons d'abord ce festival dans son contexte :
- «Le Festival de Cannes est un Festival d’Art Cinématographique. Nous sommes là pour mettre en valeur les nouvelles écritures, les nouvelles formes, les nouvelles inventions visuelles de l’époque et le Festival de Cannes, chaque année au mois de mai, est une sorte de photographie, à la fois éphémère et durable, quand on additionne les années, de ce qu’est l’Art du Cinéma.» Thierry Frémaux.
- «La CGT doit être à Cannes.» Philippe Martinez, Secrétaire Général de la CGT.
- Le Festival de Cannes a été fondé en 1946 sur une idée de Jean Zay, Ministre de l'Éducation Nationale et des Beaux-Arts du Front Populaire. Il l'a créé aussi pour s'opposer à Benito Mussolini qui avait créé la Mostra de Venise.
Comme ça, on sait de quoi on parle. Le cinéma, tel qu'il est présenté à Cannes est un Art, le septième, et il est intrinsèquement politique, comme tout art. Les films qui ne sont pas de l'art - c'est leur droit le plus légitime - iront ailleurs, et les recalés étasuniens n'ont qu'à aller se pavaner à Deauville, c'est fait pour ça. Les sélectionneurs n'auraient jamais du, par exemple, sélectionner les films de Valérie Donzelli et Gus Van Sant, qui par leur faute, ont été stupidement incendiés.
Les sélectionneurs, si je peux me permettre, dès lors qu'un réalisateur a été précédemment honoré d'un prix éminent, et qu'il présente un film bien moins bon (ça arrive, et c'est normal), laissez-le aller ailleurs plutôt que de créer des polémiques aussi idiotes qu'inutiles.
Les Frères Coen sont de grands réalisateurs, et tout ce qui est du scénario, des dialogues, de la mise en scène, de la direction d'acteurs, des cadrages, etc... il maîtrisent parfaitement. Il ne suffit donc pas d'intituler son film "Mia Madre", d'une portée forcément universelle qui suscitera de la sympathie pour recevoir un prix. Ma mise en scène, c'est du travail.
En rappelant que tout le monde ne peut pas gagner - c'est une évidence, il faut faire des choix - je vous propose de regarder ce Palmarès 2015 d'un point de vue très différent d'un vulgaire "Top 10", ça nous changera un peu. D'où viennent ces films ? sur quelles thématiques essentielles sont-il assis ? quelle est leur dimension artistique ? leur dimension politique ?
Voici, dans l'ordre de remise des Prix, la liste des nationalités des oeuvres d'art cinématographiques récompensées de ce soir : Liban & Qatar ("Wawes'98"), Colombie & France & Chili & Pays-Bas & Brésil ("La tierra y la sombra"), France (Agnès Varda), Mexique ("Chronic"), USA ("Carol") et France ("Mon Roi") ex-aequo, Grèce & France & Pays-Bas & Grande Bretagne & Irlande ("The Lobster"), France ("La loi du marché"), Taïwan ("The Assassin"), Hongrie, France. Ces nationalités n'apparaissent pas sur le site officiel du Festival de Cannes...
La Palme d'Or du Court métrage reviens à "Waves' 98" de Ely Dagher, réalisateur libanais, qui vit entre Beyrouth, Bruxelles, qui a précédemment fait une partie de ses études en Belgique et en Grande Bretagne. L'histoire du jeune Omar qui fuit sa banlieue de Beyrouth en longeant un chemin rocailleux... pour arriver dans un monde surréaliste. Liban & Beyrouth, pays et ville incessamment et injustement meurtri par les guerres...
Apichatpong Weerasethakul n'étant pas en sélection, c'est logiquement Hou Hsiao Hsien qui reçoit le Prix de la Mise en Scène pour ("The Assassin"). C'est un maître incontestable, et forcément ça n'a pas échappé aux Frères Coen. Il ne cesse de magnifiquement s'interroger sur le cinéma, son rôle... J'ai lu sous la plume de certains, au mieux qu'on ne comprenait pas tout, au pire qu'on ne comprenait rien : c'est tant mieux selon moi !
Le Grand Prix, puisque je l'ai rappelé au début en préambule il est aussi question de jeunesse, revient au jeune Lazlo Nemes pour "Le Fils de Saül", un film qui se passe dans un camp d'extermination, où un père fait tout pour offrir une sépulture à son fils. Une sépulture d'un père à son fils dans ce contexte, c'est d'abord la volonté de refuser l'extermination (on n'est pas "exterminé" quand on a une sépulture), c'est ensuite la paternité. Et comme je le pense intimement, de la paternité, la Fraternité, donc le XXIè siècle, un siècle qui nous oblige déjà.
Paternité encore avec "La tierra y la sombra" du Colombien Cesar Augusto Acevedo, l'histoire d'un vieux paysan qui après 20 ans d'absence, retourne au chevet de son fils malade, retrouvant aussi son pays défiguré par les champs de canne à sucre. Je suppose que la canne à sucre a remplacé les cultures vivrières d'origine, à des fins de rentabilité... mais je 'en suis pas certain.
Ce qui m'amène au Prix du Jury, "The Lobster" du réalisateur grec Yorgos Lanthimos, qui avec son film de pure fiction, situé dans un avenir proche, imagine avec foisonnement d'idées, une société où il est interdit d'être célibataire. À l'heure où en Europe, ont voudrait bien, sans le dire clairement, exclure la Grèce, et où la Grande Bretagne aimerait divorcer... Reportez-vous aux pays qui ont co-financé ce film réalisé par un Grec. Respect !
Depuis quelques années déjà, le Festival de Cannes est revenu à ses fondamentaux, Jean Zay, le Front Populaire et les Mairies PCF, la CGT... via Ken Loach et Les Frères Dardenne notamment. Ainsi, il est logique - voire mérité - que les Pris d'Interprétation aillent à Vincent Lindon dans "La loi du marché" de Stéphane Brizé et Emmanuelle Bercot dans "Mon Roi" de Maïwen (ex-aequo avec la jeune et belle Rooney Mara dans "Carol" de Todd Haynes, qui obtenu par ailleurs la Queer Palm), la même Emmanuelle Bercot qui vient de réaliser et de présenter le très beau "La tête haute", film ainsi indirectement salué.
Une Palme d'Honneur offerte à Agnès Varda, une artiste exigeante, féministe, fraternelle, qui n'a jamais craint de filmer "les petites gens" avec une exceptionnelle bienveillance et une compassion sincère, en dehors de tout système mercantile.
Un aide soignant devant ses malades en phase terminale, qui les accompagne bien au-delà de ce qu'exigent ses fonctions, voici l'histoire de "Chronic" du mexicain Michel Franco. Et si là, la Fraternité ne vous saute pas aux yeux...
Jacques Audiard reçoit la Palme d'Or pour "Dheepan"? Un film français, par le réalisateur de "Un Prophète" et "De rouille et d'os", presque entièrement parlé en Tamoul, sur des réfugiés - un homme, une femme, une petite fille, qui ne se connaissent pas, mais qui se font passer pour une "famille") ayant fui la guerre civile au Sri Lanka. Immigration, guerre, asile politique, fraternité, famille réinventée... Dont acte.
Voilà. Je suis un grand admirateur de Kore-Eda Hirokazu ("Tel père, tel fils") et de Jia Zhang-Ke ("A touch of sin"), ils ne sont pas au Palmarès, et finalement ce n'est pas grave, pas même important. Je pense qu'il y a une grande cohérence dans ce palmarès, une cohérence artistique autant que politique.
Un Palmarès qui n'a pas particulièrement vocation à "faire des thunes", qui n'oublie ce qu'est et ce que doit rester le cinéma, même si ce cinéma-là, artistique, technique et politique ne représente que 5% des entrées, ne répondant pas à la loi pour débiles assujettis au Capital du "box office". Il faut noter que dans ce jury figuraient des personnes très ancrées à gauche, et incorruptibles : Jake Gyllenhaal, Rokia Traoré, Rossy De Palma. Évidemment, Thierry Frémaux avait une courroie de transmission au sein du Jury...
Toute cette exigence, ça va faire grincer (moi y compris), gloser...
Oh la la ! Pas un prix pour les Italiens, etc, etc, etc...
Peut-être, sans doute, pour tel ou tel prix y avait-il meilleur choix pour les uns, est-ce un scandale pour les autres. C'est le choix d'un Jury sous l'autorité d'une Présidence à deux tête, qui compose avec la sélection qu'on lui propose, et qui cette année n'hésite pas à jongler en cohérence et en audace (c'est inattendu) avec les diverses sélections.

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